« Le concept classique d'appendicite aiguë est complètement remis en question, estime le Pr Corinne Vons, chirurgien digestif à l'hôpital Avicenne de Bobigny (AP-HP) et auteur principale d'une étude sur les appendicites en France. Or aujourd'hui encore, le programme des ECN (épreuves classantes nationales) enseigne aux étudiants la définition basée sur l'obstruction et l'évolution vers la perforation, une définition qui date de 1887. Il est temps d'évoluer ! ».
Présentée à l'Académie nationale de Médecine, cette étude épidémiologique menée sur la période 1997-2015 en France, - sans doute la plus importante sur l'appendicite aiguë à l'échelle d'un pays entier -, corrobore l'observation déjà faite, notamment aux États-Unis, qu'il existe bien deux maladies différentes et non pas une maladie, dont l'une des formes serait la complication de l'autre.
Pour le Pr Vons, qui a publié en 2011 la première étude française dans « The Lancet » sur l'intérêt des antibiotiques dans les appendicites non compliquées (NC), ces nouveaux résultats ont un impact direct sur le type de prise en charge à proposer. « Il existe des formes non compliquées, probablement virales et/ou bactériennes, dont l'évolution est favorable, spontanément ou avec un traitement antibiotique, explique-t-elle. Et il existe des formes compliquées d'emblée, avec perforation immédiate, qu'il faut opérer ».
Un risque trop souvent inutile
Ces nouvelles données pourraient faire évoluer les dernières recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), qui ne valident pas l'antibiothérapie dans l'appendicite. « Aujourd'hui, en l'état, il y a suffisamment de données pour pouvoir recommander le traitement médical, estime Corinne Vons. Depuis les recommandations de 2012, beaucoup d'études ont été publiées. Il existe un risque d'accidents avec l'option chirurgicale alors s'il est possible de traiter médicalement, il faut tout faire pour ».
Pour ce travail descriptif, Corinne Vons et son équipe ont exploité les bases de données du PMSI (programme de médicalisation des systèmes d'information) sur près de deux décennies. Après une étude préliminaire, les chercheurs ont choisi le codage par GHM (groupe homogène de malades) qui apparaissait plus fiable que celui par diagnostic principal selon la CIM10 et celui de la CCAM (classification commune des actes médicaux).
Seule la forme compliquée est stable
Comme observé précédemment, l'étude a retrouvé « la diminution importante du nombre de séjours pour appendicite aiguë depuis 1997 jusqu'à nos jours », est-il écrit. En 2015, l'incidence en France est de 11 pour 10 000 habitants. « L'incidence varie selon les pays et selon les années, souligne Corinne Vons. Ces variations sont globalement mal expliquées. En France, la mise à disposition d'examens morphologiques aux urgences, échographie et TDM, est avancée pour expliquer l'incidence à la baisse des appendicites opérées. Or c'est le même argument qui est donné pour expliquer la tendance inverse aux États-Unis, un pays réputé plus attentiste auparavant. C'est bien la preuve qu'il y a des formes qui guérissent toutes seules ».
Surtout, l'étude a individualisé deux profils différents selon que l'appendicite soit compliquée (C) ou non (NC). « Seule la forme NC a une incidence qui varie en fonction des années, relève Corinne Vons. Et elle semble ainsi être la seule à expliquer les variations globales observées. La forme C à l'opposé varie à peine avec les années, avec une très faible augmentation (0,9 point) liée probablement au vieillissement de la population ».
Autre facteur important, l'âge est associé à une variation d'incidence mais aussi à des profils différents. « L'incidence maximale de l'appendicite est entre 5 à 19 ans, détaille l'étude. Puis elle diminue progressivement chez l'adulte jeune. Aux âges extrêmes de la vie, l'appendicite est beaucoup moins fréquente. Mais c'est la forme NC qui suit les variations liées à l'âge et est la plus fréquente de 5 à 19 ans. À l'inverse, la forme C, moins fréquente de 5 à 19 ans, est prédominante aux âges extrêmes de la vie ».
Âges extrêmes de la vie, sujets à peau noire
Comme dans la population générale, l'incidence de la forme C, plus forte chez les hommes avec un ratio de 0,72, reste stable au fil des années dans les deux sexes. L'incidence des appendicites, qui est globalement plus forte chez les hommes, diminue sur le compte des formes NC chez les hommes et les femmes. De plus, l'étude relève que l'appendicite varie selon l'origine ethnique. « L'incidence de l'appendicite aiguë est très nettement inférieure dans les quatre régions d'outremer, souligne Corinne Vons. Le risque y est moitié moindre par rapport à la métropole. Mais le taux de formes C est significativement plus élevé qu'en métropole, avec 50,7 % versus 37,5 % en 2014 ».
Pour Corinne Vons, ces données confirment l'existence de deux physiopathologies distinctes dans l'appendicite aiguë. « Il faut assumer ne pas tout connaître pour avancer, explique-t-elle. Les causes des formes NC semblent être virales ou bactériennes et l'on comprend ainsi pourquoi un traitement médical peut suffire à traiter des appendicites NC sans stercolithe. En revanche, beaucoup reste à découvrir pour comprendre la forme C des âges extrêmes de la vie et des sujets à peau noire. »
Pour le chirurgien, il est important de ne pas se précipiter pour opérer les formes NC. « Il reste à les identifier de façon certaine, explique Corinne Vons. Les Scandinaves ont choisi l'option de traiter par antibiotiques tous les patients sans signe de péritonite. Seuls sont opérés les sujets résistants. En France, il y a de moins en moins d'appendicectomies, les pratiques bougent, le mode de prise en charge va changer ». Pour aller plus en avant, les chercheurs travaillent sur une modélisation intégrant l'influence des saisons (chaleur, humidité) et de la pollution pour expliquer la contagion des formes NC. « Il faudrait aussi arriver à détecter les formes compliquées par d'autres moyens que l'imagerie, par exemple par un examen sanguin ou un score multivariable », projette Corinne Vons.
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