L’équipe Immunité intestinale, intégrée à l'Institut Imagine en 2014, s’attache à développer une cohorte de patients susceptibles de présenter une forme monogénique de maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (Mici). Quelque 650 patients, principalement âgés de moins de six ans et présentant une diarrhée chronique, ont été inclus depuis le lancement de la cohorte en 2012. Un diagnostic génétique a été identifié pour 30 % d’entre eux.
« Nous avons mis en place cette cohorte afin de pouvoir proposer un diagnostic précis des maladies monogéniques de l’intestin grâce au séquençage génétique et ainsi offrir à nos patients une prise en charge personnalisée, voire un traitement ciblé lorsque celui-ci existe », explique au « Quotidien » la Dr Nadine Cerf-Bensussan, à la tête de l'équipe de recherche, constituée de médecins pédiatres et gastroentérologues*.
Ces maladies monogéniques se caractérisent par leur début souvent très précoce (avant six ans), leur résistance fréquente aux traitements classiques et, selon la nature de la maladie sous-jacente, par des antécédents de consanguinité ou de maladie familiale. Néanmoins, un certain nombre de cas, notamment touchant des gènes provoquant un dysfonctionnement immunitaire et associés à des manifestations auto-immunes, peuvent se manifester seulement à l’âge adulte.
La mise au point de l’approche diagnostique, d’abord développée dans le laboratoire de recherche par la Dr Fabienne Charbit-Henrion, est désormais réalisée par la Dr Cerf-Bensussan dans le service de médecine génomique des maladies rares de l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP).
Apporter un diagnostic moléculaire précis
En pratique, « nous proposons une étude génétique à chaque enfant ou patient que nous estimons "suspects", raconte-t-elle. Nous avons choisi ici de faire un séquençage ciblé à l'aide d'un large panel de gènes connus pour présenter des mutations provoquant des maladies monogéniques intestinales. » Si cette première analyse est négative, les explorations peuvent être poussées au cas par cas avec la réalisation d’un séquençage du génome entier. Si cette analyse identifie des variants dans un nouveau gène jamais décrit jusque-là, de nouvelles analyses sont mises en place pour valider la responsabilité des variants génétiques dans la maladie.
La mise en évidence d’une cause génétique varie selon le tableau clinique. Elle est très fréquente dans les diarrhées congénitales débutant dès la naissance (80 %). Pour les entéropathies non cœliaques, un diagnostic moléculaire est obtenu dans plus de 60 % des cas chez l'enfant. De façon importante, ces maladies peuvent se révéler seulement à l’âge adulte. La Dr Cerf-Bensussan et son équipe ont pu récemment mettre en évidence un variant génétique pathogénique chez plus de 30 % des adultes présentant ce type d'entéropathies auto-immunes. Ces maladies caractérisées par une atrophie villositaire rappelant la maladie cœliaque sont résistantes au régime sans gluten et généralement associées à des manifestations auto-immunes extradigestives, à un déficit immunitaire et ou des manifestations allergiques.
Dans les colites débutant très précocement au cours de la vie, un diagnostic moléculaire est obtenu dans 40 % des formes les plus sévères, notamment celles associées à des lésions périanales. En revanche, de façon inattendue, la fréquence d’un diagnostic moléculaire est beaucoup plus faible (15 %) en l’absence de telles lésions, même dans des cas débutant avant deux à trois ans, suggérant que ces formes précoces sont souvent, comme les maladies inflammatoires intestinales de l’adulte, de nature multifactorielle. Il semble vraisemblable que les modifications récentes du microbiote intestinal, en cause dans l’augmentation des maladies inflammatoires de l’adulte, jouent aussi désormais un rôle dans la survenue très précoce de ces maladies.
Proposer des traitements ciblés
L'approche moléculaire permet aussi de mieux comprendre les mécanismes clés qui entrent en jeu dans le contrôle de la barrière intestinale chez l’homme. « Les maladies qui perturbent la barrière intestinale sont schématiquement de trois types : celles qui affectent l'épithélium, celles qui altèrent le compartiment immunitaire, et celles qui affectent les deux compartiments », souligne la pédiatre. Et de s'enthousiasmer : « C'est assez passionnant de pouvoir disséquer précisément les mécanismes qui contrôlent la différenciation des épithéliums ainsi que les mécanismes permettant au système immunitaire de l'intestin de maintenir l'homéostasie et donc la fonction de cet organe. »
La mise en évidence d’un diagnostic moléculaire est un élément décisif pour guider la prise en charge. Dans les maladies affectant exclusivement le compartiment immunitaire, l’arsenal thérapeutique est désormais large. Les formes les plus graves, telles que les défauts du récepteur de l’interleukine 10 à l’origine de colites extrêmement sévères avec lésions périanales dès les premiers mois de vie, peuvent être guéries par une greffe de moelle. Dans les entéropathies auto-immunes, outre la greffe de moelle pour certaines formes très sévères, plusieurs traitements ciblant directement le défaut génétique ont été développés.
À l’inverse, les traitements pour les maladies affectant l’épithélium intestinal sont encore largement insatisfaisants. « Ces enfants restent souvent dépendants d’une nutrition parentérale à vie, voire d’une greffe d'intestin, qui reste difficile », déplore la Dr Cerf-Bensussan. Ce sont donc surtout sur les formes épithéliales qu’il faut concentrer les efforts pour développer de nouvelles approches thérapeutiques.
*Le Pr Frank Rummele, la Dr Fabienne Charbit-Henrion et la Pr Georgia Malamut.
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