Concernant l’ingestion de corps étranger chez un enfant, plusieurs préceptes sont à retenir. Tout d’abord, il convient de penser à cette possibilité, même lorsqu’elle est passée inaperçue auprès des proches de l’enfant. « L’hypothèse diagnostique de l’ingestion d’un corps étranger est toujours à garder en tête, avertit le Pr Jérôme Viala, hôpital universitaire Robert-Debré (AP-HP, Paris). Si l’on prend le cas des piles bouton, plus de la moitié des décès sont survenus alors que l’ingestion n’avait pas été signalée. Bien avant la varice œsophagienne ou l’ulcère gastrique, chez un enfant de moins de cinq ans qui vomit du sang, il faut envisager l’ingestion de corps étranger et prescrire une radiographie en urgence ». De plus, il convient de garder en tête que la manifestation d’un symptôme (hypersialorrhée, vomissement, douleur, saignement, dyspnée, fièvre) doit être considérée comme le critère de gravité, y compris si le corps étranger semble anodin (une fève). « L’enfant doit alors être adressé auprès d’un spécialiste, pour décider d'une endoscopie, indique le Pr Viala. S’il est asymptomatique, on surveille l’évacuation naturelle. Un objet anodin peut se coincer sur une lésion préexistante : sténose congénitale, anastomotique ou peptique… Mais le grand classique est l’œsophagite à éosinophiles, qui rend la paroi œsophagienne peu contractile ».
Se méfier des objets inoffensifs
Au contraire de corps étrangers considérés comme dangereux (tranchants, coupants ou perforants, comme une lame de rasoir, une aiguille ou une épingle), certains objets peuvent paraître à tort inoffensifs. « Des corps étrangers longs, comme les bâtonnets de sucette, peuvent rester bloqués dans les angles du duodénum, et provoquer des lésions ischémiques par compression, met en garde Jérôme Viala. C’est pareil pour les aimants. Dès qu'ils sont au nombre de deux, y compris à l’extérieur du corps (broches de ceinture, barreaux métalliques de lit…), ils peuvent provoquer une compression de la paroi intestinale avec une ischémie nécrose, une perforation ou une fistule. Les nouveaux aimants en néodyme ont une attraction magnétique ultra-puissante, parfois redoutable pour les parois ». Les tampons hygiéniques, composés de sphaigne hyperabsorbante, peuvent créer des occlusions intestinales et des lésions ischémiques importantes.
Une endoscopie œsogastroduodénale en urgence
Avec l’hémorragie digestive et l’ingestion de caustique, le retrait de corps étrangers fait partie des trois indications principales à l’endoscopie œsogastroduodénale (EOGD) en urgence chez l’enfant. « Il y a peu de littérature sur l’endoscopie en urgence pédiatrique, souligne la Dr Cécile Talbotec (hôpital Necker-Enfants malades, Paris) c’est pourquoi nous avons réalisé une étude prospective (01 février-juillet 2017). En six mois, nous avons reçu en Île-de-France 237 appels, pour une moyenne de 10 appels par semaine, dont 68 % étaient motivés par l’ingestion de corps étrangers, 20,3 % des cas d’hémorragies digestives et 8 % d’ingestion de caustique (1) ». Au total, 76 EOGD ont été réalisées (soit trois endoscopies par semaine), dont 40 pour corps étrangers et 23 pour hémorragie digestive. Le délai moyen dépend de l’indication : trois heures en cas de corps étranger, neuf heures en cas d’hémorragie digestive, et seize heures en cas d’ingestion de caustique. L’ingestion de piles bouton représente 25,2 % des corps étrangers (26,4 % des pièces de monnaie, 9,2 % des objets tranchants, 3,7 % des aimants). En majorité, les enfants étaient âgés de moins de cinq ans (37,4 %). L’ingestion de corps étrangers (2) est le plus souvent accidentelle, dont plus de la moitié survient avant l’âge de cinq ans.
Gare aux piles bouton !
L’ingestion des piles bouton est en augmentation constante ces 20 dernières années (3). Le nombre de cas aux États-Unis a doublé entre 1990-2000 et 2010-2019. Ces accidents entraînent des complications œsophagiennes (fistules oeso-trachéales, sténoses, perforations, médiastinite, pneumothorax, arrêts cardiorespiratoires, empyème, abcès, hémorragie…). Les facteurs de risque d’évolution grave sont : une pile restée plus de deux heures dans l’œsophage, un diamètre de la pile d’au moins 20 mm, et un âge de l’enfant inférieur à quatre ans. Si la pile reste plus de douze heures dans l’œsophage, une tomodensitométrie est indiquée avant l’EOGD pour estimer le risque de perforation et de lésion des gros vaisseaux adjacents (4). Dans l’estomac, en cas de symptôme et/ou d’aimant associé, l’EOGD s’impose dans un délai de moins de deux heures. En l’absence de symptômes, un contrôle (de l’abdomen, sans préparation) est préconisé au septième et quatorzième jour. En février 2022, la Haute Autorité de santé a recommandé de réaliser une EOGD dans les 24 heures afin d’extraire, chez l’enfant asymptomatique de moins de cinq ans, une pile de plus de 15 mm stagnant dans l’estomac.
D'après les communications du congrès Vidéo-Digest Cours Intensifs, 3-4 novembre 2022
(1) Norsa L et al. Urgent endoscopy in children: epidemiology in a large region of France. Endosc Int Open. 2020 Jul;8(7):E969-E973.
(2) Michaud L et al. Ingestion of foreign bodies in children. Recommendations of the French-Speaking Group of Pediatric Hepatology, Gastroenterology and Nutrition. Arch Pediatr. 2009 Jan;16(1):54-61
(3) Litovitz T et al. Emerging battery-ingestion hazard: clinical implications. Pediatrics. 2010 Jun;125(6):1168-77.
(4) Mubarak A et al. Diagnosis, Management, and Prevention of Button Battery Ingestion in Childhood: A European Society for Paediatric Gastroenterology Hepatology and Nutrition Position Paper. J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2021 Jul 1;73(1):129-36.
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