« Je suis présidente de l’Association française contre les myopathies [AFM] depuis 20 ans. Je me rappelle à cette époque, on ne vivait que des drames et des décès. Mais ça n’a pas ralenti notre persévérance », s’exclame Laurence Tiennot-Herment à la conférence de l’AFM pour présenter le Téléthon 2023, qui aura lieu les 8 et 9 décembre.
« En regardant dans le rétro, punaise, quelle fierté ! », lâche-t-elle avec un grand sourire, les yeux tournés vers Ibrahima, qui court dans la salle en riant. Ce petit garçon âgé de deux ans est atteint de la forme la plus sévère d’amyotrophie spinale, une maladie génétique rare qui touche les neurones moteurs. En le regardant, rien ne le différencie pourtant d’un autre enfant de son âge.
La maladie avait déjà touché la famille de sa mère ; ainsi, Ibrahima est diagnostiqué très tôt, in utero. Il bénéficie, seulement six semaines après sa naissance, d’une thérapie génique, ce qui empêche la maladie d’apparaître. Plus de 3 000 enfants dans le monde ont déjà été traités par ce médicament. En France, cinq bébés ont notamment été diagnostiqués grâce au programme de dépistage néonatal généralisé de l’amyotrophie spinale, Depisma, mis en place en 2022 dans les régions Grand-Est et Nouvelle-Aquitaine.
Ces bonnes nouvelles sont néanmoins teintées d’amertume. « On pense aux autres enfants pris en charge bien plus tard. On pense aux 95 % des maladies rares qui n’ont pas de traitement. On pense aux 85 % des maladies rares qui sont ultrarares (1) et qui n’ont pas de modèle commercial », nuance Laurence Tiennot-Herment.
Myopathie myotubulaire : une autre réussite de thérapie génique
Une autre thérapie génique montre son efficacité, cette fois-ci dans le traitement de la myopathie myotubulaire. Sans traitement, plus de 50 % des malades atteints décèdent avant 2 ans et 75 % avant 10 ans. Cette thérapie génétique a été conçue à Généthon (2) par l’équipe Maladies neuromusculaires et thérapie génique d’Ana Buj Bello.
Un essai clinique international a démarré en 2017 sur 24 enfants de moins de 6 ans atteints de cette maladie et sous assistance respiratoire au moins 22 heures par jour. Ses résultats ont été publiés dans The Lancet Neurology le 15 novembre dernier.
Ana Buj Bello les présente, cinq ans après le début de l'essai : « Nous avons observé une augmentation de la force généralisée, une amélioration de la motricité : 16 enfants respirent par eux-mêmes, 20 peuvent s'asseoir au moins 30 secondes dont 12 se lèvent seuls et huit arrivent à marcher sans soutien. En revanche, quatre enfants, ayant une pathologie hépatobiliaire préexistante, sont décédés ».
Jules a été traité en France. Ce petit garçon, diagnostiqué à deux mois, vivait grâce à une multitude d'appareils. Quinze jours après l'injection, les premiers effets étaient déjà visibles. Il peut désormais se nourrir et respirer seul, marcher, courir et même faire du vélo. « C'est la première fois qu'on voit une récupération musculaire aussi complète », confie Ana Buj Bello.
Des signaux encourageants pour une myopathie des ceintures
En 2023, un autre essai clinique de thérapie génique a eu lieu en France, au Danemark et en Angleterre, sur trois patients atteints de myopathie des ceintures due à des mutations du gène FKRP, impliqué dans la stabilité et la résistance du tissu musculaire. Les premiers résultats ont été présentés en octobre, au congrès de l'European Society of Gene & Cell Therapy, à Bruxelles.
Frédéric Revah, le directeur général de Généthon, décrit : « Aucun effet indésirable inattendu n'a été observé. On voit une correction de l'aspect du muscle. La patiente, qui a été traitée il y a un peu moins d'un an, marche mieux et plus vite, elle n'a plus de crampes et de myalgie. Il y a une amélioration des indices de la qualité de vie ».
« Un parcours du combattant »
Mais, avant de pouvoir traiter, il faut tout d'abord diagnostiquer. Or, le dépistage reste un chemin long et difficile pour les patients atteints de maladies génétiques rares. Margaux, 26 ans, témoigne : « Lorsque j’étais adolescente, j’avais des douleurs musculaires, j’étais souvent fatiguée mais on me disait simplement que je ne faisais pas assez de sport. C’est ensuite, durant mes études, que je me suis dit que ce n’était vraiment pas normal ». S’en suit un « parcours du combattant » durant deux ans et demi pour que soit posé le diagnostic de myopathie des ceintures liée au gène FKRP. Face aux résultats cliniques de la thérapie génétique présentés par Frédéric Revah, « l’espoir est devenu concret », conclut-elle.
Serge Braun, directeur scientifique du Généthon, affirme : « L'errance diagnostique peut durer des années. En France, nous manquons de moyens pour le séquençage du génome alors que nous étions auparavant pionniers du génome humain. Nous avons du retard en termes d'équipements (séquenceurs à haut débit) et nous n'arrivons pas à couvrir tous les besoins ». Il existe néanmoins des documents de référence rédigés par les réseaux de santé, notamment Filnemus.
Un essai clinique en manque de patients
Léon a lui aussi attendu plusieurs mois avant de connaître le nom de sa maladie. Il est atteint de neuropathie à axones géants, une maladie très rare qui touche les nerfs et les muscles. « Nous sommes allés dans plusieurs hôpitaux et on nous disait que c'était une maladie inconnue. Pourtant, un des symptômes, très voyant, est que les cheveux sont crépus », raconte Alexandre, son père, aux cheveux totalement raides.
Le jeune blondinet de dix ans raconte timidement : « La maladie me tord les pieds, les doigts, je ne peux pas marcher longtemps ou courir ». Deux laboratoires dans le monde s'intéressent à sa maladie, dont l'un à Lyon. « Ils cherchent plus de patients pour débuter un essai clinique. Il n'y a que cinq cas dépistés en France », déplore Alexandre.
Serge Braun complète : « Cet essai clinique traiterait tous les patients atteints de cette maladie, mais il n'a pas de modèle commercial ». C'est pourquoi il défend la création d'un fonds pour la recherche sur les maladies rares négligées. Il y en aurait plus de 8 000 et « on ne connaît les gènes mis en cause que de la moitié d’entre elles ». De plus, 95 % n’ont pas de traitement. « Ce n’est pas parce qu’une maladie est rare ou ultrarare que les patients ne méritent pas un traitement », s’attriste Serge Braun.
(1) Les maladies ultrarares ont une prévalence de moins d'une personne par million d'habitants. Elles concernent donc moins d'une dizaine de personnes dans un pays comme la France.
(2) Créé et financé par l'AFM-Téléthon, Généthon a pour mission de mettre à la disposition des malades des traitements de thérapie génique.
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