À AIX-EN-PROVENCE, une maison de vacances qui résonne de cris d’enfants. « La maison du bonheur, touchée par le malheur. » Ainsi débute « La vie à tout prix », documentaire de Sophie Nahum et Arnaud Mansir qui inaugure la soirée Thema d’Arte intitulée « Quoi de neuf, docteur ? » Le malheur, c’est le gène BRCA1 muté, qui a tué Annick Goutal, la célèbre créatrice de parfums, trois de ses surs, sa mère et probablement sa grand-mère.
La force du film, ce sont les témoignages de la fille d’Annick Goutal et de ses cousines, qui expliquent avec sincérité mais aussi pudeur, sans complaisance, comment elles affrontent, chacune à sa manière, après le deuil de leur mère, cette menace mortelle. Photos et films de famille nous faisant discrètement entrer dans l’intimité des Goutal.
Elles étaient donc cinq surs, touchées dans les années 1980 par les cancers du sein et des ovaires, alors qu’elles avaient entre 30 et 40 ans. Quatre en sont mortes dans la décennie suivante. Annick est la seule, en 1994, à faire le test de dépistage du gène BRCA1, qui vient d’être mis au point ; elle va aux États-Unis, car il n’est pas encore disponible en Europe. Avant de mourir, peu après, elle fait jurer à sa fille, Camille, de faire elle aussi le test.
Dix années plus tard, à 30 ans, alors qu’elle se rapproche de l’âge auquel sa mère est tombée malade, Camille s’exécute. Le verdict tombe, elle est porteuse de la mutation. Elle est, depuis, suivie à l’Institut Curie ; elle décrit son malaise, elle qui n’est pas malade, de se retrouver aux côtés de patientes gravement atteintes. Elle se fait expliquer les conséquences de la seule solution pour réduire à quelques pour cent le risque d’être à son tour touchée précocement par le cancer : l’ablation des ovaires et des seins. La ménopause précoce semble un moindre mal et elle est un peu rassurée par les explications de la spécialiste de la reconstruction des seins, selon laquelle, dans la majorité des mastectomies prophylactiques on conserve aréole et mamelon.
Coupable pour ses filles.
Parmi les cousines de Camille, Delphine a fait le test, à 31 ans, et sait qu’elle est indemne de la mutation. Émilie, qui a perdu sa mère à 19 ans et peint des bustes de femmes sans visage, a longtemps hésité mais va franchir le pas. Sur la ménopause précoce, elle ironise : « Mes enfants auront une vieille mère. Au moins, ils auront une mère. »
Émilie a deux garçons. Camille a deux filles et est torturée par la culpabilité de leur avoir transmis, peut-être, le gène mortifère. Elle regrette de n’avoir pas connu la possibilité du DPI (diagnostic préimplantatoire), auquel, si elle avait su, elle aurait recouru sans hésiter. Le sujet serait-il quasi tabou en France, comme l’assure le commentaire du documentaire ? L’Agence de la biomédecine vient de rappeler que le DPI est autorisé par exception dans ces cas de très graves cancers familiaux (« le Quotidien » du 8 janvier). La « malédiction familiale » pourra donc, on l’espère, s’arrêter aux petites filles d’Annick Goutal et de ses surs.
Arte, 20h45, « La Vie à tout prix» (Thema« Quoi de neuf, docteur ? »).
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