Comment expliquer que l’infection par le SARS-CoV-2 puisse se traduire par un éventail de présentations allant de formes pauci ou asymptomatiques à d’autres sévères nécessitant des soins intensifs ? Trois études publiées par le groupe « Science », deux dans « Science Immunology » (1,2) et la plus récente dans « Science Translational Medicine » (3), apportent un éclairage à cette question : des anomalies génétiques et immunologiques, entravant l’immunité contrôlée par l’interféron de type 1 (IFN 1), expliqueraient 25 % des formes sévères de Covid-19.
Cette découverte est le fruit d’une collaboration internationale pilotée par des chercheurs de l’Inserm, enseignants-chercheurs de l’Université de Paris et médecins de l’AP-HP au laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses, dans ses deux branches : à l’Institut Imagine, situé à l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP) et à l’Université Rockefeller de New York.
En octobre 2020, les équipes de ce laboratoire, co-dirigé par les Prs Jean-Laurent Casanova et Laurent Abel, avaient déjà publié deux études dans « Science » (4,5) expliquant 10 à 15 % des formes sévères de Covid-19. En cause : un déficit dans la voie de l’IFN 1, une protéine habituellement produite de manière rapide par le système immunitaire en réponse à une infection virale et qui a pour principal effet d’inhiber la réplication du virus dans les cellules infectées.
Les chercheurs avaient alors démontré qu’au moins 3 à 4 % des formes sévères ont une origine génétique, tandis que 10 à 11 % s’expliquent par la présence d’auto-anticorps dirigés contre l’IFN 1 et qui bloquent leur action antivirale. Cette découverte avait été mise à l’honneur dans les avancées scientifiques majeures de l’année 2020 par « Nature » (6).
Les récentes publications convergent et renforcent l’hypothèse de recherche : d’autres variants génétiques très rares liés à l’IFN 1 sont associés à des formes graves de Covid, la responsabilité des auto-anticorps préexistants liés à l’âge est plus élevée qu’initialement estimée et leur mécanisme physiopathologique mieux décrit.
Des variants du gène TLR7 chez les moins de 60 ans
Dans l’un des récents travaux (1), les auteurs ont identifié des variants dits « perte de fonction » touchant TLR7, un gène impliqué dans la production d’IFN 1. Ce variant récessif lié à l’X très rare a été retrouvé chez environ 1 % des hommes de moins de 60 ans atteints d’une forme engageant le pronostic vital.
Pour cette recherche, l’équipe franco-américaine est partie du constat que les formes les plus sévères touchent principalement les hommes. C’est en analysant le séquençage du chromosome X d’une cohorte de 1 202 patients de sexe masculin dont la gravité de l’infection était inexpliquée puis en le comparant avec celui d’un groupe contrôle ayant présenté une forme asymptomatique ou légère que les scientifiques ont mis en évidence l’anomalie génétique chez 16 patients.
Des auto-anticorps plus fréquents avec l’âge
Plus important, les auteurs ont affiné la recherche de l’activité auto-anticorps dans les formes graves (2). En 2020, les chercheurs avaient pu expliquer 10 à 11 % des formes sévères car ils s’étaient intéressés en priorité aux patients ayant un taux très élevé d’auto-anticorps. Dans une nouvelle étude, ils ont abaissé ce seuil et ont inclus des patients ayant des taux neutralisant des concentrations d’interféron jusqu’à 100 fois inférieures. Résultat : les auto-anticorps qui bloquent ces faibles concentrations d’IFN 1 conduisent aussi à des pneumopathies sévères.
Afin de mieux comprendre la distribution de ces auto-anticorps dans la population générale non infectée et notamment l’influence de l’âge (l’essentiel des cas de formes sévères de Covid-19 concerne les plus de 65 ans), les auteurs ont comparé plus de 34 000 individus sains, classés par sexe et tranche d’âge, issus de cohortes de l’Inserm, de l’Établissement français du sang et de Cerba Healthcare, partenaire du laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses.
Ils ont ainsi fait une découverte inattendue : la présence d’auto-anticorps dirigés contre les IFN 1 est très rare avant 65 ans (0,2 à 0,5 %) et augmente ensuite exponentiellement en vieillissant. Ils atteignent 4 % entre 70 et 79 ans, et 7 % entre 80 et 85 ans. Les causes et les mécanismes de cette augmentation dans la population générale restent à élucider mais celle-ci explique en partie pourquoi l’âge est un facteur de risque majeur dans le développement de formes graves de Covid-19.
Identifier les groupes à risque
Dans un autre travail (3), les scientifiques décrivent plus précisément des altérations immunitaires systémiques associées à la présence d’auto-anticorps, certaines étant également retrouvées chez des patients ayant une forme sévère mais sans auto-
anticorps, à savoir un déficit de l’expression des gènes stimulés par l’IFN 1 dans les cellules myéloïdes, inversement corrélé à l’expression du récepteur LAIR1. Un constat qui fait écrire aux auteurs que cette réponse déficiente commune est en faveur « d’un modèle de pathogenèse unifiant », les mécanismes étant « convergents ».
Identifier très tôt les populations ayant ce type de réponse inadéquate pourrait changer le cours de la maladie. Selon les auteurs, cela pourrait se faire par la recherche conjointe d’auto-anticorps contre l’IFN 1 et du LAIR1. De plus, un traitement à base d’IFN bêta est une piste qualifiée de « particulièrement précieuse » chez les patients ayant des auto-anticorps anti-IFN 1, puisque ces derniers semblent ne neutraliser parmi les IFN de type 1 que les IFN alpha et oméga. Enfin, comme les auto-anticorps anti-IFN 1 préexistent à l’infection au SARS-CoV-2, l’identification des groupes à risque porteurs permettrait de mettre en place des mesures préventives.
(1) Asano T. et al, Sci Immunol, 19 août 2021. doi/10.1126/sciimmunol.abl4348
(2) Bastard P; et al, Sci Immunol, 19 août 2021. doi/10.1126/sciimmunol.abl4340
(3) Van der Wijst M. et al, Sci Transl Med, 24 août 2021. doi/10.1126/scitranslmad.abh2624
(4) Zhang Q. et al, Science, 24 septembre 2020. doi/10.1126/science.abd4570
(5) Bastard P. et al, Science, 24 septembre 2020. doi/10.1126/science.abd4585
(6) www.nature.com/articles/d41586-020-03514-8
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