Le chercheur Patrick Hsu et ses collègues de l’université de Californie en sont convaincus : avec les bridge RNA, ou bARN, ils tiennent entre leurs mains un élément clé de ce qui constituera peut être la troisième génération de ciseaux moléculaires. Ces nouveaux travaux publiés dans Nature, conjointement à ceux menés par Hiroshi Nishimasu, du département de chimie et de biotechnologie à l’université de Tokyo, semblent constituer un point de départ pour la mise au point d’une technologie originale d’ingénierie génétique.
Les bARN sont des séquences non codantes, naturellement présentes dans des bactéries telles que les Escherichia coli. Ces séquences sont transcrites à partir de brins d’ADN mobiles appelés IS 110, porteurs de gènes codant pour les éléments nécessaires à leur insertion dans le génome de la bactérie receveuse, à savoir un gène codant pour l’ADN recombinase et un autre pour le bARN.
Les ancêtres de CAS9
« Les éléments d’insertion intéressent la communauté scientifique depuis longtemps, se souvient Aude Bernheim, directrice du laboratoire « Diversité moléculaire des microbes », à l’Institut Pasteur. Il y a trois ans, la découverte que CAS12 et CAS9 sont en fait dérivés des protéines encodées dans les transposons de la famille IscB, qui sont aussi des nucléases guidées par ARN, a généré encore plus de curiosité. De nombreux chercheurs se sont dit qu’en recherchant dans les différentes familles d’IS [pour Insertion Sequence, NDLR], on pourrait trouver des éléments de transposition guidée ».
Pari réussi avec le bARN qui présente l’avantageuse capacité de reconnaître et de fixer deux séquences ADN différentes : l’ADN de la bactérie donneuse et celle de la bactérie receveuse. Il joue donc le rôle de « pont » (bridge en anglais) lors de l’insertion.
En modifiant la séquence ARN au niveau des deux sites de fixation, « nous pouvons, de manière très souple et flexible, insérer, inverser ou retirer de l’ADN à un endroit précis et choisi », explique Patrick Hsu. La technologie Crispr-Cas9 repose sur les systèmes de réparation de l’ADN cellulaire pour faire des opérations complexes d’insertion. « Or, ce sont des mécanismes qu’on ne maîtrise pas forcément », prévient Aude Bernheim. Le bARN, bispécifique, présente l’avantage d’insérer de longues séquences d’ADN lui-même, en une seule opération.
« Avec ce nouvel outil nous pouvons modifier plusieurs centaines de milliers de bases, voire des millions, s’enthousiasme Patrick Hsu. Nous allons pouvoir faire des modifications à l’échelle du chromosome entier ! »
De nombreuses applications
Grâce au bARN, les chercheurs pourraient un jour être en mesure d’étudier des facteurs de risque polygéniques, au lieu d’étudier les effets des variants les uns après les autres. « Il sera aussi possible de faire de l’ingénierie métabolique en insérant d’un seul coup le code pour toutes les protéines impliquées dans une voie de signalisation », espère Patrick Hsu. Des applications sont aussi envisagées pour la production de cellules CAR-T de nouvelle génération, pour le traitement de dystrophies musculaires ou encore pour la correction à large échelle des anomalies génétiques à l’origine de certains cancers.
Dans un deuxième article, Hiroshi Nishimasu et ses collègues décrivent plus en détail la structure du bARN et de l’ADN recombinase codés par l’ADN d’IS110. L’association de ces deux éléments sous la forme d’un homotetramer, (une protéine complexe faite de quatre sous-unités identiques), capable d’adopter trois configurations différentes, correspondant à son état avant, pendant et après l’échange de brin. « Ce qui est incroyable, indique Hiroshi Nishimasu, c’est la complexité des tâches que peut accomplir cette association de deux éléments relativement simples : le bARN fait environ 150 bases de long et l’ADN recombinase mesure entre 300 et 450 acides aminés. À eux deux, ils font le travail que nous avions l’habitude de voir réalisé par quatre protéines ou plus. »
Des années de développement à prévoir
D’un point de vue pratique, les chercheurs ne disposent pour le moment que d’une démonstration in vitro de l’utilisation du bARN. Des travaux sont encore nécessaires pour caractériser et optimiser ses capacités de recombinaison dans des cellules animales puis humaines. Les scientifiques doivent aussi rassembler des données sur la stabilité du bARN à l’intérieur d’une cellule vivante, même s’il semble que la liaison avec l’ADN recombinase procure quelques protections contre les nucléases. Afin de lutter contre l’immunogénicité dirigée contre l’ARN, telle que cela avait été constaté avec les vaccins à ARNm, une vectorisation adéquate devra aussi être mise au point.
Pour Aude Bernheim, l’utilisation massive des bARN comme guides pour l’édition moléculaire est « possible et très prometteuse mais pas encore démontrée », avance-t-elle prudemment. « Les Crispr ont été une révolution de par leur capacité à guider une fonction moléculaire vers un endroit précis du génome, et de manière très orthogonale dans de nombreux types de cellules : humaines, animales, végétales etc. Pour l’instant, rien ne prouve que les bARN aient cette souplesse d’utilisation », tempère-t-elle.
Néanmoins, la course à l’optimisation est déjà lancée : « Toute la communauté qui travaille sur ce sujet a 10 ans d'expérience autour du système Cripsr », rapporte la chercheuse. « Depuis que nous avons prépublié nos résultats, nous avons été contactés par plusieurs laboratoires qui souhaiteraient investir dans le développement de ciseaux moléculaires, vectorisés à l’aide de leur propre technologie », se réjouit Patrick Hsu.
Afin de laisser d’autres équipes de recherche s’emparer de ce nouvel outil d’édition du génome, les chercheurs californiens ont déposé le plasmide qu’ils ont utilisé dans le catalogue AddGene. Les scientifiques ont également rendu public le code source d’un logiciel de simulation qu’ils ont conçu pour évaluer la capacité de recombinaison des différentes constructions qui pourraient être faites à l’avenir avec le bARN.
Il existe un véritable engouement pour les séquences d’insertion. Le 21 juin, une équipe australienne a publié des données sur une autre famille : l’IS 1111. Les chercheurs décrivent l’existence d’un autre type d’ARN, également programmable et capable de se fixer sur le génome de la bactérie receveuse. L’équipe de Patrick Hsu est toutefois la première à décrire la double spécificité d’un tel brin d’ARN et son rôle dans la recombinaison d’un brin d’ADN. Le 21 juin encore, les chercheurs de l’université de Columbia et de l’Institut Pasteur ont prépublié une étude montrant qu’IS110 a joué un rôle déterminant dans l’évolution des mécanismes moléculaires clés pour les cellules eucaryotes.
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