Les chercheurs de l'institut Imagine, à Paris, viennent de publier dans « Nature Communications » un article qui pose les fondements d'une nouvelle thérapie génique de la bêta-thalassémie et de la drépanocytose. Fondée sur l'édition de base, une forme particulière de l'édition de génome, elle pourrait se révéler à la fois moins chère et plus efficace que les thérapies géniques déjà sur le marché, qui reposent sur l'introduction d'un gène par un vecteur lentiviral.
La drépanocytose et la bêta-thalassémie sont causées par des mutations affectant le gène produisant la bêta globine, situé sur le chromosome 11. Dans la drépanocytose, la structure de la bêta globine est altérée, ce qui provoque des anémies, des crises vaso-occlusives et une altération progressive des organes. Dans la bêta-thalassémie, la production de bêta-globine est drastiquement réduite, causant un déficit en hémoglobine et des anémies sévères.
Moins cher, plus précis
En 2019, le laboratoire Bluebird Bio a obtenu une autorisation de mise sur le marché pour Zinteglo, une thérapie génique de la bêta-thalassémie dépendante des transfusions, chez les patients âgés de plus de 12 ans et de moins de 35 ans. Zynteglo consiste à l'introduction du gène de la βA-T87Q-globine dans les cellules souches progénitrices CD34+ autologues du patient via un vecteur lentiviral.
Cette technique a plusieurs inconvénients. Pour Annarita Miccio, cheffe du laboratoire « Chromatine et régulation des gènes au cours du développement » à l'institut Imagine : « C'est un processus peu précis. Il faut des grandes quantités de vecteur pour que seulement un tiers à un cinquième des cellules expriment l'hémoglobine fœtale, explique-t-elle. En outre, c'est extrêmement coûteux ! Pour traiter quatre patients dans le cadre d'une étude académique, la production et la purification des vecteurs à elles seules nous avaient coûté 1,5 million d'euros. »
Le recours à des techniques d'édition du génome reposant sur des complexes de protéines et d'ARNm devrait diviser ces coûts par cinq, selon les estimations d'Annarita Miccio, qui espère éviter ainsi la mésaventure de Bluebird Bio. Même si la technologie a été développée à l'institut Imagine à Paris, la société de biotechnologie a pris la décision d'interrompre ses activités en Europe, faute de pouvoir faire accepter son prix de 2,8 millions pour un traitement par Zynteglo (après une première suspension de l'AMM en avril 2020).
Recréer des mutations observées chez des patients rares
La nouvelle approche consiste à recréer des mutations connues depuis les années 1970. À cette époque, il avait été observé que de rares individus, bien que porteurs des mutations spécifiques à la drépanocytose ou à la bêta-thalassémie, ne développaient pas la maladie. Cette résistance s'explique par la présence de mutations compensatrices au niveau de l'autre allèle du gène codant pour la globine bêta. Cette mutation a pour effet de stimuler la production de globine fœtale (ou globine gamma), capable de prendre la place de la globine bêta adulte non fonctionnelle.
L'équipe dirigée par Annarita Miccio a testé plusieurs techniques pour reproduire l'effet de cette mutation compensatrice, dont Crispr-Cas9. « Le problème de Crispr-Cas9 est qu'on risque de créer des anomalies génétiques, précise Annarita Miccio. En coupant l'ADN, on court le risque de perdre toute la partie terminale d'un chromosome. »
Ils optent finalement pour l'édition de base, une technique qui consiste à modifier une base unique du génome sans couper l'ADN. Lors de tests chez la souris, les auteurs ont démontré que l'induction de cette mutation correctrice présente le double avantage de stimuler la production de globine fœtale et de bloquer le mécanisme naturel inhibant la production de cette dernière.
« De nombreuses étapes sont encore nécessaires avant que cette nouvelle approche de thérapie génique soit applicable en clinique, précise Panagiotis Antoniou, premier auteur de l’étude. Nous devons par exemple optimiser le protocole pour modifier génétiquement davantage de globules rouges, car seuls 60 % le sont avec le protocole actuel. Pour autant, nos travaux ouvrent la voie au développement clinique d’un traitement innovant et sûr pour les patients atteints de bêta hémoglobinopathies, dans l’objectif d’améliorer leur qualité de vie », conclut-il.
Les chercheurs de l'institut Imagine sont en cours de discussion avec les institutions, et notamment l'Agence du médicament (ANSM), pour commencer des études précliniques visant à évaluer la toxicité du traitement.
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