Cette manipulation génétique n’a fait l’objet d’aucune publication scientifique ni de vérification par une instance indépendante. C’est dire si elle est à prendre avec des pincettes. D’après le généticien Jiankui He, de l’université de science et de technologie de Shenzhen, des jumelles seraient nées en Chine après la manipulation de leur génome grâce à l’outil d’édition CRISPR. Ces ciseaux moléculaires auraient été utilisés pour conférer aux fillettes une capacité dont peu de personnes disposent : celle de résister à une infection par le virus du sida.
Cette information a été transmise par l'auteur de cette manipulation lui-même, Jiankui He. Il en a réalisé une vidéo promotionnelle.
Son objectif « n’est pas seulement de faire une première mais de faire un exemple, a confié le scientifique à Associated Press (AP). Ce sera à la société de décider de ce qui devra être fait par la suite ».
D’après AP, Jiankui He – appuyé par le Pr d’ingénierie génétique américain Michael Deem – a modifié le génome d’embryons provenant de 7 couples. Une fois les FIV réalisées, l’édition a été lancée sur les embryons de 3 à 5 jours, avec pour cible le gène CCR5, situé sur le chromosome 3. Ce gène code un récepteur au niveau des lymphocytes notamment, récepteur que le VIH utilise pour infecter les cellules immunitaires. Or certaines personnes porteuses d’une mutation homozygote de ce gène sont naturellement protégées de cette infection. L’idée du Jiankui He était donc de conférer cette protection aux embryons manipulés.
Sur les 22 embryons issus de FIV, 16 auraient été édités, 11 implantés et deux auraient survécu. Des tests génétiques suggéreraient que la première jumelle porte une mutation homozygote du gène CCR5 (protégeant contre le VIH) et l’autre une mutation hétérozygote (pas de protection). « Les bébés sont en bonne santé », insiste J. He dans sa vidéo.
La portée de cette manipulation donne le vertige : si elle est avérée, il s’agirait en particulier de la première manipulation du génome entier d’individus, cellules germinales incluses. Ce qui signifie que la manipulation concerne non seulement l’individu lui-même mais aussi sa descendance. A l'annonce de cette manipulation, l'université de science et de technologie de Shenzen s'est désolidarisée de Jiankui He, assurant qu'elle n'a jamais été tenue au courant de cet essai.
Info ou intox ?
Comme le rappelle la codécouvreuse de l’outil CRISPR, Jennifer Doudna, de l’université de Berkeley, aucune preuve scientifique indépendante n’a pour le moment été fournie, qui permette de vérifier les allégations du scientifique chinois. S'il est vrai qu'une équipe chinoise a été la première à manipuler des embryons humains avec CRISPR-Cas 9 (mais à des fins de recherche et viables quelques jours seulement), en matière de fraude scientifique, les précédents ne manquent pas. Souvenons-nous du professeur coréen Hwang Woo-suk qui, en février 2004, avait publié dans « Science » rien de moins que le premier clonage humain.
L’avenir nous dira si la naissance des petites Lulu et Nana est une terrifiante « info » ou une « intox » montée de toutes pièces en marge du 2e forum mondial de l’édition du génome pour alerter sur les dangers sociétaux, sanitaires et éthiques d’une utilisation incontrôlée des ciseaux moléculaires.
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