LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Le 28 janvier dernier, la Fondation Jérôme Lejeune faisait paraître une annonce quelque peu provocatrice pour alerter les Français : « Pourquoi la France dépense-t-elle tout pour dépister mais rien pour traiter ? » Qu’en pensez-vous ?
JACQUELINE LONDON - La formule est lapidaire mais néanmoins exacte. Je le répète depuis de nombreuses années, l’État rembourse les tests anténatals et les échographies alors que l’image véhiculée de la trisomie est excessivement négative. Les financements publics soutiennent la recherche sur le diagnostic anténatal mais aucun crédit public n’est alloué à la recherche fondamentale et thérapeutique pour aider les personnes atteintes de trisomie 21 à mieux vivre. Ce n’est pas le cas d’autres pathologies.
Vous suggérez que chaque test de dépistage réalisé contribue au financement de la recherche thérapeutique.
Depuis 2005, c’est-à-dire depuis que le 21 mars est devenu Journée mondiale de la trisomie 21, je tente de solliciter les quelques laboratoires privés qui réalisent les tests anténatals afin qu’ils apportent un soutien financier à la recherche. Aucun n’a répondu favorablement à l’AFRT. Nous pensons que c’est aux pouvoirs publics d’agir, en imposant par exemple une sorte de dîme pour aider la recherche. C’est aussi de sa responsabilité d’aider à mobiliser. Le message que l’on fait passer aujourd’hui est le suivant : « On a trouvé la solution pour vaincre la trisomie 21, il n’y en aura plus ». Cela est totalement faux.
Pourriez-vous expliquer pourquoi ?
En France, la trisomie 21 concerne aujourd’hui 70 000 personnes. La diminution du nombre de naissances est encore relativement faible, on est passé de 1/800 à 1/1 000 voire 1/1 200 dans certaines régions. Les tests anténataux vont permettre de faire naître moins d’enfants atteints de cette pathologie mais, du fait d’une espérance de vie plus longue, le nombre d’adultes atteints de trisomie 21 va augmenter. L’espérance de vie est aujourd’hui de 70-75 ans, elle augmente de 5 à 10 ans par tranche de 10 ans. On estime que le nombre de personnes atteintes de trisomie 21 va doubler, voire tripler en France et en Europe dans les vingt ans à venir.
Que peut-on attendre de la recherche ?
Pendant très longtemps, on s’est dit qu’on ne comprendrait rien à la maladie parce qu’un chromosome entier avec trop de gènes à étudier, était en cause. Depuis le séquençage complet du chromosome 21, il y a huit ans, on sait qu’il existe au maximum 350 gènes, des gènes qui ne sont pas mutés mais présents en 3 exemplaires. Certains sont surexprimés et leur surexpression peut altérer le fonctionnement d’autres gènes du développement neuronal et du développement musculaire. La grande avancée depuis 1995 a été la création de modèles animaux, des souris trisomiques partielles pour les chromosomes 10, 16 ou 17 qui portent des gènes homologues du chromosome 21 chez l’homme. Ces modèles murins permettent d’étudier certains symptômes de la trisomie. Depuis trois ans, plusieurs publications ont montré que certains composés pharmacologiques administrés à des souris adultes ou ajoutés dans l’eau de boisson des femelles qui vont accoucher, pouvaient vraiment de traiter les déficits observés chez ces souris. Cette voie est pleine de promesse.
Va-t-il y avoir des essais chez l’homme ?
C’est encore trop tôt. Mais ces résultats soulignent la nécessité d’un soutien massif pour la recherche. D’autres voies sont prometteuses. Des ressemblances ont été observées entre la maladie d’Alzheimer et la trisomie 21. On a observé chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer des plaques séniles et une dégénérescence neurofibrillaire précoce. Dans quelques cas qui n’ont pas été publiés, on l’observe même chez le ftus. La maladie d’Alzheimer n’est pas plus fréquente chez les peronnes atteintes de trisomie 21 que dans la population générale (20 %), mais lorsqu’ils en sont atteints, les symptômes apparaissent plus tôt, autour de 65 ans, avec une progression plus rapide de la maladie. Certains signes cliniques de la trisomie 21 sont aussi identiques à ceux de l’Alzheimer précoce : défaut d’orientation, agraphie, trouble de sommeil et trouble de l’olfaction. Mieux comprendre ce qui déclenche les déficits précoces dans la trisomie 21 permettra de mieux comprendre l’Alzheimer précoce.
Votre message du colloque du 20 et 21 mars sera donc plein d’espoir...
Au cours des deux années qui viennent de s’écouler, les promesses ont été nombreuses. Les avancées laissent espérer une diminution des symptômes les plus marquants de la trisomie. Il faut soutenir la recherche et favoriser la pluridisciplinarité. Mais il faut partir des besoins des patients, aller du patient à la recherche et revenir au patient. C’est mon credo. On ne fait pas de la recherche tout seul dans un coin parce qu’on a un bon gène et une bonne souris.
Vous-même, l’appliquez-vous dans vos recherches ?
J’ai été grâce à cela précurseur dans le domaine du sommeil. J’ai une fille atteinte d’une trisomie partielle en mosaïque avec une déficience intellectuelle. Elle a 36 ans, vit en couple à Paris et est parfaitement autonome. Beaucoup pensaient que cela serait impossible mais il faut savoir que les personnes atteintes de trisomie 21 ont beaucoup plus de capacités qu’on ne le croit. Ma fille a des problèmes de sommeil, j’étais donc sensibilisée au problème. Mais c’est par hasard, lors d’un colloque en Espagne, que j’ai entendu une communication sur les troubles du sommeil chez les personnes atteintes de trisomie 21. J’ai commencé à m’intéresser à la question. Aujourd’hui, on sait que 80 % des personnes atteintes de trisomie 21 ont soit des apnées, soit une fragmentation du sommeil. C’est un nouveau trait phénotypique de ces patients. C’est important de le savoir, car ils peuvent bénéficier d’un traitement en cas d’apnée du sommeil (PAP). Quand on interroge les parents, ils affirment que leurs enfants dorment très bien, « d’ailleurs, ils dorment beaucoup dans la journée », disent-ils, ce qui prouve une mauvaise qualité de leur sommeil.
Pour finir, quelle est votre position sur l’avortement ?
Je ne suis pas opposée à l’avortement. Je pense que c’est une affaire individuelle. On ne peut pas demander à des familles qui sont déjà en difficulté sociale d’assumer un enfant qui a un handicap alors que la prise en charge de la famille élargie est aujourd’hui insuffisante. Mais je pense que si l’on travaillait pour essayer de diminuer, même légèrement, le handicap mental à la naissance, la question de l’avortement se poserait moins. L’image de la trisomie 21 est tellement mauvaise que les gens disent « surtout pas ». Je suis en désaccord avec ceux qui condamnent, par principe et par conviction, l’avortement, car je crois qu’une société se doit d’accepter ses handicapés de la circulation comme ceux de la naissance. La question est importante parce que je pense que la trisomie risque de devenir dans les années à venir, si on ne fait pas de recherche et si on n’en change pas le regard, une pathologie présente surtout dans les familles religieuses et/ou pauvres, qui refusent l’avortement et qui n’auront pas suffisamment accès à une prise en charge précoce si des mesures anticipatrices ne sont pas prises.
* www.afrt.fr.
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