Une partie de la communauté scientifique s’inquiète d’un chemin nouveau pris dans la manipulation du génome humain. La publication d’une expérience menée en Chine sur 86 embryons humains dans une revue peu connue « Protein and Cell » (1) le 18 avril a eu l’effet d’un électrochoc parmi des généticiens américains en alerte depuis une publication début mars dans le journal du Massachusetts Institute of Technnology (MIT) (2). L’enquête révélait l’existence de recherches débutantes sur la manipulation génétiques des cellules reproductives, (sperme, ovules fécondés ou non), y compris aux États-Unis.
Pour l’Alliance américaine pour la médecine régénérative (ARM), une organisation internationale pilotée aux États-Unis, qui représente plus de 200 entreprises de sciences de la vie, d’instituts de recherche, de groupes de patients et d’investisseurs dans le développement et la commercialisation de thérapeutiques, il y a urgence à lancer « un moratoire volontaire mondial ». Si ces travaux préliminaires sur le génome humain, à des fins de recherche pure, se sont avérés non concluants, ils ont été qualifiés de « très prématurés ».
Un nouvel outil technique
Ces chercheurs chinois expliquent comment ils ont voulu tenté de modifier le gène de la bêta thalassémie sur des embryons, en utilisant une nouvelle technique d’édition génétique appelée CRISPR/Cas9, récente mais déjà assez répandue. Les embryons qui provenaient d’une clinique de fertilité, étaient de toute façon non viables du fait de chromosomes surnuméraires.
Le gène corrigé a fonctionné chez 28 des 54 embryons testés (71 avaient survécu après l’introduction du gène) mais seule une fraction exprimait complètement le nouveau gène, la plupart étant des chimères. De l’avis de Junjiu Huang, de l’université Sun Yat-Sen et auteur principal : « Si on veut appliquer cette technique à des embryons viables, il faut que le taux de remplacement soit de 100%. » La technique de toute évidence n’est pas encore au point.
Des conséquences non mesurées pour l’humanité
Mais le plus préoccupant, toujours selon Junjiu Huang, est « le nombre étonnamment élevé de mutations non prévues avec cette nouvelle méthode d’édition génétique », plus grand que ce qui a pu être observé jusqu’ici en laboratoire. Ces résultats inquiétants confortent les craintes exprimées dans des articles publiés courant mars dans « Nature » (3) et « Science » (4). Le chercheur Edward Lanphier, président de Sangamo BioSciences (Californie), a renouvelé les positions exprimées précédemment dans « Nature » : « Ces résultats soulignent ce que nous avons dit avant : nous avons besoin de mettre cette recherche en pause et d’avoir une discussion étendue pour décider quelle direction prendre. »
La modification des cellules germinales s’intéresse en effet non plus à des patrimoines individuels de gènes défectueux, mais met en jeu l’hérédité sur plusieurs générations. Les bénéfices thérapeutiques potentiels de telles manipulations génétiques pourraient ne pas être à la hauteur des risques encourus.
De nombreux chercheurs appellent à la « prudence », comme les prix Nobel David Baltimore ou Paul Berg signataires dans « Science ». Pour Rudof Jaenisch, le président de la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches (ISSCR) : « Il est trop tôt pour appliquer ces technologies sur l’embryon humain », en appelant à « des directives éthiques très strictes ». Antonio Regalado dans son enquête du MIT mettait aussi en garde contre les risques éthiques à vouloir « créer le bébé parfait ».
Alors que la technique d’édition du CRISPR/Cas9 est reconnue comme assez facile à utiliser, Edward Lanphier craint que l’exemple chinois n’encourage à persévérer dans cette voie. Selon la revue « Nature », il y aurait quatre équipes chinoises avec des recherches similaires en cours.
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