« Ça a été un choc, une révolution et pas seulement une évolution. Nous faisons tout pour accueillir ces nouvelles demandes », témoigne la Pr Rachel Levy, cheffe du service de biologie de la reproduction à Tenon (AP-HP).
L'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) à toutes les femmes via la loi de bioéthique d'août 2021 a entraîné une « explosion » des demandes, selon les mots de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine, la Dr Marine Jeantet. Elles ont été multipliées par huit entre 2021 et fin mars 2023. Au début du deuxième trimestre, près de 6 200 personnes étaient en attente d'un don de spermatozoïdes, dont plus de 80 % de femmes en couple ou seules, avec pour conséquence, un allongement des délais au-delà de 14 mois.
La présence en nombre des femmes célibataires aux portes des Cecos, ces centres d'étude et de conservation des ovocytes et du sperme humains, a surpris tous les acteurs. « À Tenon, elles représentent les deux tiers des demandes d'AMP. On est passés de 30 ou 40 demandes annuelles avant la loi à 816 en 2022 ; et en 2023, nous avions déjà 450 demandes fin août (pour 124 demandes de couples de femmes, et 50 de couples hétérosexuels) », témoigne la Pr Levy.
« On pousse les murs pour augmenter le nombre de consultations », assure-t-elle. Malgré les efforts des équipes, 463 consultations ont pu être honorées (tous profils confondus) en 2022, sur 1 200 demandes, moyennant plus d'un an de patience avant le premier rendez-vous.
Groupes de parole, guides et référentiels
Qui sont ces femmes seules que les médecins ne s'attendaient pas à recevoir en si grand nombre ? Elles sont souvent plus âgées que les couples (37,3 ans en moyenne à Tenon, versus 34,5 ans pour les femmes en couple avec un homme), avec un taux d'AMH plus bas et un nombre de follicules antraux plus faible.
« Nous avons simplifié les parcours en proposant un passeport : un guide pour accompagner la première consultation », explique la Pr Levy, précisant que si les délais n'ont pas été réduits depuis sa mise en place en avril, ce dispositif a permis d'accueillir un plus grand nombre de patientes.
Le Cecos de Tenon a aussi mis en place des groupes de parole qui permettent aux femmes seules de se rencontrer, de s'informer et de rompre la solitude. « Elles ont besoin de s'exprimer en toute confiance et bienveillance, sans calibrer leur discours, sans crainte du jugement », explique la Pr Levy. « On ne s'exprime pas librement face au psychologue (même si contrairement à l'adoption, la consultation psy ne donne pas lieu à un agrément, mais se veut un accompagnement, NDLR) ; on a l'impression de passer un examen. Même plus tard face à un pédiatre ou la PMI, persiste la crainte des services sociaux », abonde Margaux Gandelon, présidente de l'association Mam'ensolo.
Les professionnels de l'AP-HP ont aussi rédigé un référentiel pour harmoniser les pratiques entre les centres franciliens et mis à disposition un guide ressource pour tous les parcours d'AMP, évoquant aussi la grossesse, la parentalité et la dépression post-partum. Une réflexion est en cours pour mettre en place une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) spécifique au don de gamètes, réunissant professionnels et associations, qui permettrait notamment de mieux accompagner et expliquer les refus, automatiquement plus nombreux face à l'explosion des demandes.
Enfin, en lien avec l'Université des patients, des patientes expertes vont être formées (d'abord grâce à une master classe) pour accompagner l'entrée dans la parentalité de ces mères.
Lutter contre les préjugés
Mais l'AMP pour les femmes seules, comme pour les autres profils, reste un parcours semé d'obstacles, à commencer par l'insuffisance des moyens de l'hôpital public. « Il n'y a pas de priorisation entre l'AMP médicale et sociale. Mais nous avons dû lisser nos interventions en fonction des différentes catégories : AMP pour les femmes, autoconservation ovocytaire, infertilité, préservation de la fertilité (cancer, endométriose)… », reconnaît la Pr Levy. Et d'espérer que l'ouverture de nouveaux centres en Île-de-France permette de relâcher la pression.
La présidente de Mam'ensolo dénonce, elle, un accueil à géométrie variable des femmes seules. « Dès lors que leur profil sort de l'image d'Épinal de la chanson de Jean-Jacques Goldman, elles sont mal reçues », déplore Margaux Gandelon, citant en particulier les femmes jeunes, avant 29 ans, alors que la loi n'impose pas de limite d'âge inférieure (hormis la majorité), celles trop âgées (proche du seuil des 45 ans), celles qui ont un indice de masse corporelle supérieur à 35, les lesbiennes célibataires, ou celles qui vivent l'asexualité comme une orientation sexuelle comme une autre.
« Je n'ai jamais vu une femme rejetée de l'AMP en France qui y renonce ; elles se tournent vers l'étranger ou des inséminations artisanales, des chemins de traverse parfois dangereux », alerte Margaux Gandelon.
Une campagne de sensibilisation ciblant les 18-24 ans et les jeunes parents
Faites des parents ! Tel est le slogan de la nouvelle campagne de l’Agence de la biomédecine (ABM), du 11 octobre à début janvier, qui joue sur l'humour et la connivence pour recruter de nouveaux candidats au don de gamètes. L’enjeu : reconstituer au plus vite les stocks avec donneurs qui consentent à la révélation de leur identité, si l’enfant issu de leur don le demande à sa majorité.
Ceci alors qu’à partir du 31 mars 2025, seuls les gamètes de personnes ayant consenti à l’accès à leurs données, seront utilisables, les autres – s’il en reste – devant être détruits. Or jusqu’à présent, les stocks anciens régimes sont bien supérieurs (89 000 paillettes, fin mars 2023) à ceux relevant du nouveau régime (27 000 paillettes). Recruter de nouveaux donneurs vise aussi à réduire les délais d'attente et à refléter la diversité de la population française.
Cette nouvelle campagne, diffusée (en plus des médias traditionnels) dans plus d’un millier de cabinets médicaux et dans la presse médicale, cible en particulier les 18-24 ans et les jeunes parents, deux populations sensibilisées à la cause (à l'image de 86 % de la population française), mais en manque d’information (pour 82 %).
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