Les conséquences de la chirurgie bariatrique sur la grossesse sont nuancées. Un webinaire organisé par la Société française de médecine périnatale a fait le point sur ce sujet d’actualité, alors que près de 80 % des candidats opérés sont des femmes, âgées en moyenne de 35 ans.
Avec environ 6 000 grossesses après chirurgie bariatrique par an en France, les praticiens sont amenés à en rencontrer et à en suivre de plus en plus. Mais qu’en sait-on ? « L’issue est plutôt favorable avec moins de macrosomie et de pathologies maternelles mais les grossesses sont à risque (grade B) quel que soit le type d’intervention chirurgicale », explique la Dr Cécile Ciangura, endocrinologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et coordonnatrice des recommandations Baria-MAT.
Alors que le risque de plus petit poids gestationnel (< 10e percentile) est doublé et celui de prématurité légèrement augmenté, « il est essentiel de définir le parcours avec un suivi multidisciplinaire coordonné par un obstétricien », insiste l’endocrinologue, rappelant le risque d’hypoglycémie et de carences avec retentissement sur la croissance fœtale. « On insiste auprès des patientes pour qu’elles signalent l’antécédent de chirurgie bariatrique car bien souvent, quand l’intervention est loin derrière elles et que tout va mieux, elles oublient de le mentionner », souligne la Dr Ciangura. Le médecin traitant doit absolument en être informé, car à dix ans, beaucoup de femmes ne sont plus suivies qu’en médecine de ville.
Les enjeux de la chirurgie bariatrique pour la périnatalité sont de taille : environ 80 % des candidats opérés en France sont des femmes, âgées de 35 ans en moyenne, avec de plus en plus de jeunes adultes et d’adolescentes. Si les analogues du GLP-1, encore non remboursés dans l’obésité, vont entrer dans l’équation, soit pour perdre du poids, soit pour maintenir l’amaigrissement obtenu, « la chirurgie bariatrique reste à ce jour le médicament le plus efficace pour perdre du poids en cas d’obésité morbide selon l’Organisation mondiale de la santé (1998) », rappelle la Dr Pauline Duconseil, chirurgienne viscérale à Marseille. La chirurgie est indiquée pour un indice de masse corporelle (IMC) > 40 ou d’IMC ≥ 35 avec comorbidités, en seconde intention après échec du traitement médical bien conduit pendant six mois.
Par ailleurs, la chirurgie présente des bénéfices pour la santé reproductive des femmes avec une amélioration de la fertilité, en particulier dans le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), une diminution des pathologies maternelles (hypertension artérielle, diabète) mais aussi une baisse de la macrosomie. Et sans que ne soit observé d’excès de risque de fausses couches, césariennes ou malformations.
À tel point que « la Haute Autorité de santé (HAS) a introduit de nouvelles comorbidités dans ses recommandations de 2024, rapporte la Dr Duconseil. À savoir le SOPK, l’infertilité avec projet d’aide médicale à la procréation, mais aussi l’éventration complexe et l’incontinence urinaire » .
Des différences entre sleeve et bypass ?
Quelle est l’influence du type d’intervention ? La sleeve, dont l’action est essentiellement restrictive et non malabsorptive, est de loin la technique la plus utilisée avec une augmentation exponentielle dans le monde, y compris en France avec 30 000 à 40 000 interventions par an, soit deux tiers des interventions. Dans le même temps, le recours au bypass gastrique reste constant, quand l’anneau gastrique est en chute libre. « Pourtant il n’y a pas de type de chirurgie à privilégier », assure la Dr Duconseil, rappelant que la décision est prise en réunion de concertation pluridisciplinaire.
Une étude française d’après les données du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) français et publiée dans le Jama Surgery (1) a évalué la balance bénéfice/risque de la chirurgie bariatrique (sleeve ou bypass) sur une très large cohorte totalisant 53 000 femmes (dont 3 686 ont eu une grossesse avant et une après l’intervention) et 45 000 grossesses. Aucune différence n’est ressortie entre sleeve et bypass pour le poids de naissance, la macrosomie et le petit poids pour l’âge gestationnel. Mais l’étude a mis en évidence un poids de naissance de 3,1 kg pour une grossesse après chirurgie versus 3,4 kg avant, un taux de petit poids pour l’âge gestationnel de 15,12 % versus 5,76 %, une macrosomie de 4,98 % versus 19,14 %, ainsi qu’une prématurité un peu augmentée à 7,6 % versus 6,3 %.
Il existe néanmoins des différences pour ce qui est du risque des carences vitaminiques et nutritionnelles, plus élevé avec le bypass. Un élément à avoir en tête lors d’une grossesse : la supplémentation vitaminique est à vie pour le bypass, et au moins la première année pour la sleeve. Pour toutes les chirurgies, le suivi postopératoire est nécessaire à vie, à la fréquence d’une consultation tous les cinq ans à terme, à la fois pour les résultats chirurgicaux et la détection des carences.
Dépistage précoce et surveillance du diabète
Quand est-il possible d’envisager une grossesse après l’intervention ? « Le délai doit être d’au moins douze mois avec une relative stabilité pondérale, explique la Dr Duconseil. Idéalement la grossesse doit être programmée. » Un atelier dédié « grossesse après chirurgie bariatrique » peut être proposé six à neuf mois après l’intervention. Ainsi dès le pré-opératoire, une contraception efficace est à mettre en place en privilégiant « les contraceptions réversibles à longue durée d’action (implant microprogestatif, DIU cuivre ou au lévonorgestrel) », conseille la chirurgienne, qui rappelle de garder à l’esprit le risque de migration du DIU après amaigrissement. Quant aux œstroprogestatifs, la vigilance est de mise car ils sont contre-indiqués en cas d’un facteur de risque en plus de l’obésité.
Un raccourcissement du délai pour la grossesse est néanmoins possible en fonction de l’âge maternel et de la réserve ovarienne, nuance la Dr Duconseil : « Si le délai est de moins d’un an, la surveillance nutritionnelle et obstétricale est à renforcer avec une consultation préconceptionnelle ». Seront évalués les comorbidités liées à l’IMC ou à l’antécédent d’obésité (HTA, diabète prégestationnel, syndrome d’apnées du sommeil), les signes de dénutrition et de carences pour un ajustement des compléments (acide folique 0,4 mg/jour avec supplémentation multivitaminique adaptée) ; les objectifs de prise de poids seront détaillés, et les interlocuteurs identifiés.
Une vigilance particulière est de mise pour le diabète, qui doit être dépisté au mieux en préconceptionnel ou au premier trimestre en associant glycémie à jeun (GAJ) et HbA1c « car certaines femmes ayant eu un bypass ont une GAJ basse mais des glycémies qui vont s’élever au cours de la journée », précise la Dr Ciangura. Entre 24 et 28 semaines, si l’hyperglycémie par voie orale à 75 g de glucose n’est pas tolérée ou en cas de chirurgie malabsorptive, il est possible de remplacer l’examen « par un cycle glycémique capillaire sur une semaine ».
Une échographie supplémentaire à 37 SA
Pour toutes les grossesses après chirurgie bariatrique, une échographie de croissance supplémentaire est recommandée à 37 semaines d’aménorrhée (SA), pour repérer les bébés trop petits. Pour les femmes qui présentent une obésité sévère après la chirurgie (IMC > 35 kg/m2), il faut s’assurer que l’équipement de la maternité est adapté. Une consultation avec un diététicien est systématique en début de grossesse puis selon les besoins, un suivi avec un nutritionniste est recommandé une fois par trimestre. Les urgences chirurgicales sont rares mais les douleurs abdominales ne doivent pas être banalisées : « Penser à demander un avis en urgence », souligne la Dr Duconseil expliquant que le chirurgien peut être amené à intervenir, notamment en cas d’anneau gastrique ou de bypass (risque accru d’occlusion par hernie interne).
Un suivi psy (lire page 12) est à proposer en cas d’angoisses de prise de poids. Il n’y a pas de recommandations spécifiques de supplémentation pour le nouveau-né mais le pédiatre doit être averti que la maman a été opérée et le cas échéant si elle a présenté des carences (lire page 12). La prise en charge est multidisciplinaire, et en cas de difficultés, « il ne faut hésiter à adresser dans des maternités adaptées ». De nombreuses questions restent en suspens. L’étude Numasurg portée par l’Inserm et le réseau Force (F-Crin) vise à préciser les marqueurs nutritionnels maternels pendant la grossesse et le devenir de l’enfant.
Quelle supplémentation vitaminique ?
La supplémentation standard pour la grossesse n’est pas suffisamment dosée en zinc pour les femmes ayant eu une chirurgie bariatrique. Quel que soit le type de chirurgie (sleeve, bypass, anneau gastrique), la supplémentation doit être quotidienne, multivitaminique, riche en zinc (10 mg/jour) et en cuivre (1 mg/jour), pauvre en vitamine A (≤ 5 000 UI/jour) avec de l’acide folique à 0,4 mg/jour pendant les douze premières semaines (1 mg/jour maximum avec la multivitamine). L’apport protidique doit être suffisant (> 60 g/jour). Si la femme est suivie avec un bilan dans l’année, il est préconisé de poursuivre les suppléments. Si la femme n’est pas suivie et/ou sans bilan dans l’année, il est recommandé d’ajouter 50 à 80 mg de fer par jour et de la vitamine B12 1 000 μg par semaine par voie orale. Une supplémentation additionnelle sera prescrite en fonction des dosages trimestriels.