Renforcer la prévention, fluidifier le parcours d’assistance médicale à la procréation (AMP), et développer la recherche : tel est le triptyque sur lequel le président Emmanuel Macron veut faire reposer son plan contre l’infertilité, indique-t-il brièvement dans un entretien ce 8 mai à Elle, sans convaincre les spécialistes du secteur.
Le chef de l'État avait annoncé ce plan (inscrit dans la loi de bioéthique de 2021) lors d'une conférence de presse le 16 janvier dernier. « Toute femme doit disposer librement de son corps. Mais un chiffre m'interpelle : le taux de fécondité est de 1,8 et le taux de désir d'enfant s'établit à 2,3 », déclare-t-il au magazine féminin dans cet entretien balayant plusieurs sujets considérés comme importants pour l'électorat féminin.
Campagnes « en faveur » de l’autoconservation ovocytaire
En matière de prévention, « un bilan de santé remboursé par l’assurance-maladie, lors du rendez-vous de prévention des 18-25 ans, sera proposé dès cette année à tous. (…) Autour de la vingtaine, un “check-up fertilité” permettra d’établir un bilan complet, spermogramme, réserve ovarienne… », lit-on.
« Nous allons organiser des campagnes en faveur de l'autoconservation d'ovocytes pour les femmes qui veulent avoir des enfants plus tard », a-t-il aussi indiqué. Pour réduire les listes d’attente dans les centres d’AMP, Emmanuel Macron promet d’autoriser les centres privés à répondre à une demande d’autoconservation ovocytaire, alors que seuls les établissements publics (sauf exception) peuvent le faire aujourd’hui. Pour rappel, le législateur, qui a autorisé l’autoconservation des gamètes hors raison médicale dans la loi de bioéthique de 2021, l’avait circonscrite au public ou au privé non lucratif, par crainte de dérives mercantiles. Depuis, les spécialistes (gynécologues, notamment) et les associations plaident en faveur d’une ouverture au privé, ne serait-ce que pour désengorger les centres. L’Agence nationale de la biomédecine réfléchit, elle, plus largement à la place du privé dans les parcours PMA, dont les délais peuvent s’étirer sur 16 à 24 mois. En revanche, sa directrice générale, la Dr Marine Jeantet, alertait dans nos colonnes en décembre 2023 au sujet de l’autoconservation ovocytaire : « Les médecins doivent être soucieux de ne pas créer de fausses attentes : le taux de grossesse est de 25 % par tentative d’AMP chez les femmes ayant bénéficié d’autoconservation non médicale d’ovocytes jusqu’à 38 ans, avant de chuter drastiquement ».
Mission sur la ménopause
Sur les deux autres volets, parcours et recherche, Macron reste sibyllin. « Il faut améliorer l’accès aux dispositifs (…) Nous allons lancer un grand programme de recherche sur l’infertilité », ébauche-t-il. Et de réitérer son opposition à la gestation pour autrui (GPA). « Je le redis, je n'y suis pas favorable. Elle n'est pas compatible avec la dignité des femmes, c'est une forme de marchandisation de leur corps », martèle-t-il. « Ceci dit, je pense évidemment que les parents d'enfants nés par GPA à l'étranger doivent être respectés et accompagnés », ajoute-t-il.
Dernière annonce : le président confie une mission parlementaire à la députée Stéphanie Rist et à la Pr Florence Trémollières (CHU de Toulouse) sur la prise en charge actuelle de la ménopause et demande à la Haute Autorité de santé de définir une pratique et des référentiels sur les traitements hormonaux. « Beaucoup de femmes pensent que les traitements ne sont pas adaptés… Je souhaite obtenir des préconisations claires », indique Emmanuel Macron.
Incompréhension des spécialistes
Proposer un chek-up infertilité à 20 ans, « c’est infondé selon moi, ça n’a aucun intérêt », a réagi le Pr Samir Hamamah, chef de service de biologie de la reproduction du CHU de Montpellier, et co-auteur avec Salomé Berlioux (fondatrice de l’association Chemins d’avenirs) d’un rapport dessinant une stratégie de lutte contre l’infertilité, rendu en 2022. « Il y a un âge pour tout et à 20 ans, on a vraiment autre chose à faire », dit-il à l'AFP. Une Française a son premier enfant en moyenne à 31 ans, selon l’Insee.
Le rapport préconisait la mise en place d'une consultation spécifique proposée « à chaque homme et à chaque femme de 29 ans par l’Assurance-maladie », à l'âge « auquel ils sont autorisés à congeler leurs gamètes (ovocytes ou spermatozoïdes) ». Le faire trop tôt peut même être contre-productif, soit en angoissant les futurs parents soit au contraire en les rassurant faussement : « Plus on fait cette consultation en amont (avant un projet de bébé, NDLR), plus c'est dangereux parce que les gens vont se dire : ça y est, tout va bien, je ne fais rien, alors que l'âge est facteur important pour la fertilité », ajoute-t-il. Et pour certaines maladies génétiques, susceptibles d'entraîner des risques pour la fertilité, des enquêtes peuvent déjà être menées sans notion d'âge sur l'ensemble de la famille concernée, fait valoir le spécialiste.
« On n'a jamais dit qu'il fallait des examens à 20 ans ! Cela n'a pas de sens sur le plan médical », confirme la présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), la Dr Joëlle Belaisch-Allart. « Un bilan de réserve ovarienne sur la population générale qui n'a pas encore eu d'enfants, ça n'a aucune valeur pronostique. Et je ne connais aucun professionnel qui fera un spermogramme à un jeune homme de 20 ans sans projet d’enfant… Il y a sûrement un malentendu dans cette proposition », affirme-t-elle à l'AFP.
En France, environ un couple sur quatre en désir d’enfants ne parvient pas à obtenir une grossesse après 12 mois ou plus d’essais, délai correspondant à la définition de l’infertilité par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
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