En 2013, le CNGOF, en association avec le Collège français d’échographie fœtale (Cfef), le Collège national des sages-femmes (CNSF), la Société française de médecine périnatale (SFMP) et le Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane), avait recommandé, pour le dépistage du retard de croissance intra-utérin (RCIU), le recours aux courbes descriptives françaises, fondées sur les mesures du périmètre crânien, du périmètre abdominal et du fémur, ainsi que l’estimation de poids fœtal (EPF). Ces mêmes sociétés savantes travaillent désormais à l’élaboration de nouvelles recommandations à ce sujet, afin d’homogénéiser les pratiques en préconisant une seule courbe de croissance. Mais laquelle choisir, parmi la centaine de courbes existantes ?
Descriptives, ajustées…
Les courbes intra-utérines sont obtenues d’après des mesures échographiques du fœtus à différents moments de la grossesse.
Les courbes descriptives du Cfef, recommandées depuis 2013, ont été établies à partir d’une population non sélectionnée d’environ 20 000 femmes, suivies dans différents centres, quels que soient leurs antécédents, leurs addictions, leurs pathologies (étaient uniquement exclues les grossesses gémellaires ou les malformations). Ce suivi échographique prospectif a permis d’établir des courbes de Gauss pour chaque paramètre et de déterminer les percentiles extrêmes pendant toute la durée de la grossesse, jusqu’à 37 SA.
D’autres courbes ont été modélisées à partir d’enquêtes périnatales françaises, recueillant toutes les données de toutes les maternités pendant une semaine (soit 15 000 femmes environ). Ces courbes sont construites par des formules mathématiques, c’est-à-dire qu’on dessine à rebours ce que devrait être la courbe de poids idéale, à partir d’enfants nés à terme en bonne santé. Ces courbes sont aussi dites «
ajustées » ou « customisées », car elles tiennent compte de critères maternels (IMC, poids, taille, parité) et fœtaux (sexe). En France, c’est la courbe Epopée qui pourrait peut-être permettre de mieux discriminer les fœtus malades des non malades grâce à cet ajustement. On ne les utilise pas pour le dépistage mais en seconde intention (lors du diagnostic), pour distinguer l’enfant à risque de RCIU de celui qui est physiologiquement de petit poids.
Actuellement, la plupart des pays à haut revenu utilisent leurs propres courbes nationales, descriptives ou ajustées.
… ou prescriptives
Depuis 2014, un nouveau type de courbes dites prescriptives, ou standardisées, a fait son apparition. L’idée est de construire des courbes intra-utérines à partir d’échographies réalisées dans une population à bas risque très sélectionnée, chez des femmes indemnes de toute pathologie, d’âge intermédiaire, de poids normal, ne consommant ni alcool ni tabac, avec une alimentation jugée comme optimale.
Les plus récentes sont les courbes internationales (Intergrowth et OMS), établies chez des femmes de huit à dix pays, et la courbe NICHD, américaine, tenant compte des quatre grands groupes ethniques. L’objectif est d’avoir un référentiel unique de normalité internationale, afin de permettre à tous les pays d’avoir accès à des courbes de qualité et d’homogénéiser les publications.
Ce qui fait la force d’Intergrowth, c’est que les enfants issus de ces grossesses ont été suivis jusqu’à l’âge de 2 ans pour 85 % d’entre eux, en montrant un potentiel normal de croissance d’après les courbes postnatales de l’OMS. Mais, en pratique, ces courbes ont été très peu comparées, entre elles ou à celles d’autres pays.
Bien évaluer les conséquences d’un changement
Depuis 2013, le repérage des RCIU, qui vise à repérer les fœtus petits pour l’âge gestationnel (PAG) − ceux qui sont en dessous du 10e percentile, avec un seuil d’alerte au 3e percentile − ou au contraire les gros pour l’âge gestationnel (GAG), au-delà du 90e percentile, repose donc sur les courbes biométriques et d’estimation de poids fœtal descriptives françaises, en calculant le poids à partir de la formule mathématique de Hadlock, courbes complétées si nécessaire par les courbes françaises individualisées. « On constate que, malgré le nombre d’échographies réalisées chez les femmes en France (soit cinq en moyenne), le RCIU reste encore mal dépisté : chez seulement un enfant sur cinq. Or, la santé périnatale est un enjeu majeur de santé publique : mieux prendre en charge la prématurité et le RCIU en sont les objectifs premiers. Concernant le RCIU, on souhaiterait que le dépistage soit le plus performant possible pour mieux surveiller et organiser leur naissance », souligne le Pr Éric Verspyck (Rouen). D’autres pays dépistent un peu mieux le RCIU, sans qu’on en connaisse vraiment les raisons.
Pour les recommandations en cours d’élaboration, il est discuté d’adopter la même courbe partout en France, et la question est donc de savoir s’il faut garder cette courbe descriptive française, et dans ce cas revoir les points qui pourraient être améliorés, ou passer à des nouvelles courbes internationales multiethniques.
Les courbes actuelles françaises ont quelques insuffisances : elles n’ont pas été parfaitement construites, avec les bons critères de qualité et, dans la mesure où on ne dispose pas de formules pour construire la courbe, on peut être limité dans la mise en place d’un éventuel contrôle de qualité. Il est louable de vouloir les améliorer, mais cela se répercutera-t-il par un meilleur dépistage des PAG de l’enfant ?
On pourrait aussi refaire une large étude française prospective, avec de meilleurs critères de qualité, nécessitant de mener un projet de recherche, certes de grande envergure, mais qui serait une excellente opportunité pour la France.
« Les courbes prescriptives comme Intergrowth et OMS, plus récentes, pourraient répondre aux insuffisances des critères de qualité, mais intégrer une courbe internationale suppose un nouveau référentiel qui ne correspond pas forcément à notre population française, et il faudrait au préalable s’assurer des conséquences attendues de leur implantation sur le dépistage », remarque l’obstétricien. Or, il semble que, lors de la construction des courbes OMS et NICHD, les EPF soient très différents selon le pays ou l’origine ethnique, Intergrowth n’ayant construit qu’une seule courbe qui se veut universelle. Divers pays ont comparé leurs courbes de référence nationales aux courbes prescriptives (surtout Intergrowth), ce qui fait ressortir un dépistage moins performant pour les PAG, et excessif pour les GAG. Cela a amené récemment la Society of maternal fetal medecine (SMFM) et la Fédération internationale de gynécologie obstétrique (Figo) à privilégier les courbes descriptives nationales.
Les sociétés savantes françaises ont donc engagé toute une réflexion sur la nécessité de remplacer éventuellement les courbes françaises descriptives pour pallier certaines imperfections, tout en sachant qu’on ne peut adopter un nouveau référentiel sans en avoir évalué les conséquences, d’autant qu’aucun autre pays n’a jusqu’ici recommandé les courbes internationales prescriptives.
Exergue 1 : Améliorer l’existant, passer à des référentiels internationaux, ou relancer une étude de grande envergure française : toutes les options sont sur la table
Exergue 2 : La Fédération internationale de gynécologie obstétrique et la Society of maternal fetal medicine plaident pour l’instant pour le statut quo
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