Dans quelle mesure les fibromes utérins pourraient-ils être traités par ultrasons focalisés de haute intensité (HIFU) ? Alors que cette technique mini-invasive et conservatrice de l’utérus n’est ni recommandée ni prise en charge à ce jour en France, la Haute Autorité de santé (HAS) s’est penchée sur le sujet, à la demande du Conseil national professionnel de gynécologie-obstétrique et de gynécologie médicale (CNP GO-GM).
Avec une prévalence de 20 à 50 % chez les femmes de plus de 30 ans, les fibromes utérins représentent la tumeur bénigne la plus fréquente de la femme en âge de procréer. Majoritairement asymptomatiques, les fibromes utérins se manifestent cliniquement dans 25 % des cas. Les symptômes et leur sévérité varient selon la taille et la localisation des fibromes : saignements anormaux (ménorragies, métrorragies), douleurs, gênes pelviennes, troubles urinaires, constipation ou encore infertilité.
Au-delà des traitements médicamenteux qui permettent de réduire le volume des fibromes et/ou les saignements associés, trois interventions sont recommandées et remboursées en France pour traiter les fibromes eux-mêmes : l’hystérectomie, la myomectomie et l’embolisation des artères utérines (acte mini-invasif de radiologie interventionnelle consistant à générer une nécrose des fibromes en obstruant les artères qui les vascularisent), rappelle la HAS dans son avis publié ce 24 juillet. Entre ces trois options, pas de hiérarchie, le choix se fait au cas par cas, selon les patientes. La myomectomie et l’embolisation des artères utérines (EAU) permettent aux femmes de conserver leur utérus et donc leur possibilité de procréation, mais ne sont pas sans risque de récidives et de réintervention ; l’hystérectomie est le seul traitement définitif, mais aussi le plus mutilant.
Procédure réalisée par un gynécologue ou plus rarement par un radiologue
Aussi le besoin est-il réel d’élargir l’arsenal thérapeutique peu invasif. D’où l’intérêt suscité par le traitement par HIFU, expérimenté en France dans le cancer de la prostate, les fibroadénomes, ou l’endométriose (avec des sondes différentes, néanmoins, de celles utilisées pour le fibrome utérin). Cette technique mini-invasive consiste à générer une destruction des fibromes par énergie thermique à partir de l’utilisation d’ultrasons focalisés émis par une sonde extracorporelle positionnée en regard de l’utérus. Le guidage des ultrasons au sein de cavité pelvienne peut être réalisé par échographie (USgHIFU) - la procédure est alors réalisée par un gynécologue - ou par IRM (MRgHIFU) - la procédure est alors réalisée par un radiologue interventionnel. En France, un seul centre, au CHU de Bordeaux, pratique le traitement par MRgHIFU, à une échelle limitée (une soixantaine d’actes par an).
Pour évaluer le bien-fondé du remboursement de l’USgHIFU, mais aussi du MRgHIFU (qui n’était pas compris dans la saisine initiale), la HAS a mené une recherche bibliographique et consulté les professionnels, leurs organismes et les patientes. Mais « la balance bénéfice/risque de chacune des deux modalités de guidage de l’HIFU comparativement à chacun des deux traitements conventionnels conservateurs (myomectomie et embolisation des artères utérines), leurs conditions de réalisation et leur impact organisationnel éventuel ne sont pas évaluables en l’état actuel des connaissances », conclut la HAS.
La littérature comparant les deux modalités de guidage de l’HIFU et les traitements conventionnels est « inexistante ou de faible validité, et majoritairement non applicable au contexte de soins français », lit-on. Et les avis d’experts sur les bénéfices et risques sont hétérogènes. Idem pour définir les conditions de réalisation ou mesurer l’impact organisationnel d’un déploiement éventuel en France : la littérature manque et les avis sont limités par le manque de pratique sur le territoire, argumente la HAS.
Attentes des professionnels et des patientes
Néanmoins, l’agence ne ferme pas la porte. Elle souligne les avantages théoriques de l’USgHIFU et du MRgHIFU, notamment leur caractère mini-invasif et pointe le retour encourageant du CHU de Bordeaux sur le MRgHIFU. Elle reconnaît aussi les attentes des patientes et des professionnels à l’égard de ces traitements.
Aussi l’agence encourage-t-elle la mise en place d’essais contrôlés randomisés permettant de répondre à la question de l’efficacité, de la sécurité et de l’impact organisationnel de chacune des deux modalités de guidage de l’HIFU comparativement aux traitements conventionnels. Elle demande aussi la création de cohortes de patientes traitées pour documenter les éventuelles complications et les données de santé reproductive à court, moyen et long terme. À noter : des essais contrôlés randomisés sont en cours de recrutement à l’échelle européenne (Allemagne et Pays-Bas) pour comparer le MRgHIFU à la myomectomie ou à l’embolisation des artères utérines. « Les nouvelles données ainsi produites permettront à la HAS de réévaluer ultérieurement chacune des deux modalités de guidage de l’HIFU », lit-on.
Le CNP GO-GM « sidéré »
« Je suis sidéré, désespéré », réagit auprès du Quotidien le Pr Hervé Fernandez, professeur émérite à Paris Saclay et secrétaire de la commission chirurgie gynécologique du CNP GO-GM. « Quelque 250 centres utilisent déjà l’HIFU par échographie dans le monde, parfois depuis 25 ans. La France prend cinq ans de retard », déplore-t-il. Et de réfuter les arguments avancés par la HAS : « Dire qu’on ne peut extrapoler les études étrangères au contexte français est faux : il n’y a pas de différence d’évolution entre le fibrome d’une femme asiatique et d’une Française. Dans ses recommandations de 2019, le Nice (National Institute for Health and Care Excellence, NDLR) britannique positionne l’HIFU comme un traitement prometteur et potentiellement moins morbide que la chirurgie », avance-t-il. Il remet en cause la pertinence de lancer rapidement des études, alors que les femmes préfèrent l’HIFU et que l’EAU est déconseillée en cas de projet de grossesse.
Le Pr Fernandez, qui est par ailleurs membre du Haut Conseil des nomenclatures, regrette que la dimension médico-économique ait été insuffisamment prise en compte dans l’évaluation. « Une chirurgie (par cœlioscopie ou laparoscopie), c’est 8 à 15 jours d’arrêt de travail pour la femme et des complications (adhérences…). L’HIFU par échographie, c’est seulement une demi-journée d’hospitalisation, 30 minutes d’intervention (versus 3 heures pour l’IRM). Au-delà de l’achat de la machine (1 à 1,5 million d’euros), qui pourrait être mutualisé par région, il n’y a pas de consommable », explique-t-il.
Il soulève enfin un paradoxe : « Les autorités lancent un plan fertilité. Avec le recul de l’âge de la maternité, les professionnels sont de plus en plus face à des femmes avec des fibromes. Et l’on se prive d’une technique aux très bons résultats ! ».
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