Une sorte de silence assourdissant… Voilà comment a été accueillie, en novembre dernier, la publication d’un rapport pourtant retentissant sur la démographie des gynécologues et obstétriciens (1). « Nous avons fait une conférence de presse pour présenter ce rapport, qui ne cache rien de l’extrême gravité de la situation. Nous avons également été auditionnés par de nombreuses instances : le Conseil de l’Ordre, l’Académie de médecine, les fédérations hospitalières et des réseaux de périnatalité, la Cour des comptes et, bien sûr, le ministère. À chaque fois, on s’attendait à ce qu’on nous accuse de catastrophisme, ou d’exagérer. Il n’en a rien été. Tous nous ont dit que notre constat était juste et pertinent ! En fait, tout le monde est conscient des tensions démographiques extrêmes qui règnent dans un très grand nombre de maternités françaises, plaçant certaines d’entre elles au bord de la rupture. Cette alerte a ensuite été reprise par l’Académie de médecine, dans un récent rapport (2), et par la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité et la Société française de médecine périnatale (3). Mais les décideurs semblent paralysés face aux mesures à prendre », indique le Pr Olivier Morel, président du Collège des enseignants en gynécologie-obstétrique (Cego).
Effectifs sous-estimés
Ce rapport a été établi par la commission démographie, mise en place en 2019 par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et le Cego. Il note que le nombre de gynécologues-obstétriciens (GO) est en augmentation régulière depuis 2012, avec une pyramide des âges tendant au rajeunissement, et une féminisation progressive. « De fortes inégalités territoriales sont confirmées, avec des perspectives de dégradation. Ces éléments peuvent paraître contradictoires avec les situations de tensions observées sur tout le territoire. Cependant, ces données sont très incomplètes : aucune information n’est disponible quant à la participation à la permanence des soins, l’état démographique au sein des structures, et les informations sur les modalités et types d’exercice sont très partielles », souligne le rapport.
Selon le Pr Morel, seuls les directeurs des maternités connaissent la réalité des effectifs dans leur établissement. « Le nombre de postes disponibles affichés est souvent sous-estimé. Il y a des maternités où il n’y a plus un seul GO titulaire. Mais le directeur ne va pas le clamer sur les toits ! S’il dit qu’il a huit postes disponibles dans sa maternité, cela ne sera pas du tout attractif pour les candidats potentiels. Alors, il va en afficher deux ou trois », décrypte-t-il.
Tenir compte de l’évolution des pratiques
Autre constat : le nombre d’internes formés chaque année a fortement augmenté depuis le début des années 2000. « La répartition territoriale est très inégale et ne correspond pas de façon évidente aux besoins de la population, ni aux capacités de formation. Le nombre d’internes reste cependant insuffisant, en raison de l’évolution des pratiques des nouvelles générations, avec notamment une importante diminution du temps de travail et de la participation à la permanence des soins », souligne le rapport, en relevant que seulement 50 % des internes formés à la gynécologie-obstétrique souhaitent poursuivre, et poursuivent effectivement, une activité de garde.
« Une enquête nationale menée par notre commission a permis d’observer des tensions démographiques (nombre de praticiens insuffisants, nombre de gardes trop élevé, recours régulier à l’intérim) pour 91 % des maternités de moins de 1 000 naissances, 48 % de celles entre 1 000 et 2 000 naissances et 8 % de celles assurant plus de 2000 naissances », indique le Pr Morel. Rares sont les jeunes GO qui souhaitent aller dans ces maternités à faible activité. « Ils ne se sentent pas en sécurité car, il n’y a alors pas de pédiatre sur place, ni d’anesthésiste dédié. Ils ne peuvent en général pas faire appel à un collègue en cas de besoin de renfort. Ils se retrouvent seuls à devoir tout gérer lors d’une éventuelle complication », souligne le président du Cego.
Autre paramètre majeur : les GO présentent un des taux les plus élevé de burn-out parmi les professions médicales. « Les principaux facteurs de risque sont la charge de travail trop importante, un nombre élevé de gardes, une instabilité organisationnelle des équipes, la charge émotionnelle et le risque médico-légal. Dès lors, les choix de modalités d’exercice des plus jeunes peuvent être considérés comme une prévention et un éloignement des facteurs de risque : arrêt précoce des gardes, choix de travailler au sein d’équipes comportant un nombre élevé de praticiens, travail à temps partiel », relève le rapport.
Intérêts électoralistes
Reste à savoir les suites qui seront données à ce rapport. « Nous savons que les ministres, François Braun et Agnès Firmin Le Bodo, l’ont eu entre les mains. Mais, pour l’instant, nous n’avons eu aucun retour », note le Pr Morel, conscient que le problème est médical, économique mais aussi politique, nombre d’élus locaux menant un combat farouche pour garder leur maternité de proximité. Mais les utilisent-ils réellement pour leur propre entourage ?
« L’organisation actuelle est intenable. Chacun sait, y compris les élus, qu’un regroupement des maternités est absolument nécessaire. Les contraintes de démographie médicales sont les mêmes pour les gynécologues-obstétriciens, les pédiatres et les anesthésistes. Il serait illusoire et contre-productif de prétendre les contraindre à des installations forcées. Les souhaits des médecins correspondent aux évolutions de la médecine périnatale, souligne le Pr Morel. L’organisation actuelle des soins en France place notre pays au-delà de la 25e place, sur les 34 pays de l’OCDE ! C’est inacceptable. »
Les meilleurs élèves, et notamment la Finlande, ont fait le choix d’une approche pragmatique : le nombre de plateaux techniques est optimisé, par regroupement des accouchements sur à peine 18 maternités, pour un peu plus de 60 000 naissances annuelles. L’implantation d’une maternité n’y est envisagée que lorsque plus de 1 000 naissances par an seraient domiciliées à plus d’une heure d’une maternité. « La France n’est certes pas la Finlande : les transports sont plus simples chez nous et nous avons beaucoup moins de neige en hiver ! Il serait bon que l’on soit capable de s’inspirer des modèles qui fonctionnent et que l’on passe des messages de vérité aux femmes Françaises », insite le Pr Morel.
Exergue : « Les décideurs semblent paralysés face aux mesures à prendre »
Exergue 2 : « La situation est extrêmement grave »
Entretien avec le Pr Olivier Morel, président du Collège des enseignants en gynécologie-obstétrique (Cego) et chef du pôle de gynécologie obstétrique du CHU de Nancy (1) XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX (2) Académie de médecine, 28 février 2023. Planification d’une politique en matière de périnatalité en France : Organiser la continuité des soins est une nécessité et une urgence (3) Le Monde, 4 mars 2023. « Il est impératif de repenser et de réorganiser notre système de soin périnatal »
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