Considérées comme un crime, les mutilations sexuelles féminines ont des conséquences physiques, psychologiques, sociales et sexuelles pour les femmes concernées. En France, elles seraient près de 125 000 à avoir subi une ablation totale ou partielle de leurs organes génitaux externes. Malgré la nécessité de proposer à ces victimes des parcours de soins adaptés, le sujet reste peu abordé en consultation, pénalisant le repérage et la prise en charge qui est loin de se résumer à la chirurgie.
Une récente étude publiée dans Archives of Legal Medicine sur les connaissances des internes de gynécologie, de pédiatrie, de médecine générale et de médecine légale d’Île-de-France sur le sujet illustre le manque de savoirs théoriques, cliniques et médico-légaux pour prendre en charge correctement les victimes.
L’analyse des 332 réponses à un questionnaire adressé aux internes des spécialités concernées de novembre 2021 à mai 2022 révèle leur gêne à identifier certaines mutilations. Et s’ils se sentent légitimes à les dépister, « ils admettent ressentir des difficultés à aborder le sujet avec les patientes », soulignent les auteurs.
Ces résultats reflètent le « peu de formation sur les mutilations sexuelles féminines », analyse la Dr Sarah Abramowicz, gynécologue obstétricienne au centre hospitalier intercommunal André-Grégoire de Montreuil (Seine-Saint-Denis), l’une des auteurs. Les internes éprouvent des « difficultés à simplement aborder ce sujet spécifique et tabou parce que touchant à la sexualité. Face à une victime, ils ne savent pas vraiment quoi faire », poursuit-elle.
En Seine-Saint-Denis, 7,3 % des femmes seraient excisées
Dans certains territoires métropolitains, le phénomène est pourtant très présent. En Seine-Saint-Denis, on estime que 7,3 % des femmes sont excisées. Et 11 % des filles de femmes mutilées sont à risque.
Plusieurs typologies de mutilations sont observées : l’ablation du prépuce du clitoris (mutilation de type 1) ; l’ablation du clitoris et des petites lèvres (type 2) ; la fermeture de l’orifice vaginal par suture ou accolement avec ou sans clitoridectomie, soit une infibulation (type 3) ; le type 4 recouvrant quant à lui « tout ce qui n’est pas classable » (par exemple utilisation de plantes érosives, brûlures, étirement des lèvres ou encore mutilations comme crimes de guerre), indique la Dr Abramowicz,
En France, les mutilations de type 1 et 2 pratiquées par les populations d’Afrique de l’Ouest sont les plus communes. Les mutilations de type 3, surtout répandues en Afrique de l’Est, sont retrouvées en Europe plutôt en Suisse et en Suède. Pour les soignants, la difficulté à aborder le sujet relève d’une méconnaissance des communautés concernées. « La plupart des étudiants en médecine ne voient pas ces populations en consultation et ne les connaissent pas. C’est d’autant plus complexe d’aborder les questions liées à l’intime et aux violences », observe la Dr Abramowicz.
La méconnaissance des mutilations conduit certainement à un « sous-signalement » des victimes, explique la gynécologue. Les professionnels qui les signalent « sont des experts et sont présents sur les territoires où les prévalences sont plus marquées », ajoute-t-elle.
Une fois repérées, les victimes peuvent être orientées vers un parcours de prise en charge pluridisciplinaire et global. « Trop souvent, la prise en charge se réduit à la chirurgie. C’est catastrophique : la chirurgie seule ne permet pas une réparation sur les plans psychologique et sexuel », déplore la Dr Abramowicz. Différentes consultations (sage-femme spécialisée, psychologue, sexologue, assistante sociale, conseillère conjugale et familiale) sont proposées pour accompagner une éventuelle intervention. « La chirurgie n’est pas systématique au terme du parcours. Certaines patientes ne le souhaitent pas », rapporte la gynécologue. Dans de nombreux cas, « elles entament le parcours après avoir quitté leur conjoint, parfois non choisi », ajoute-t-elle.
L’intervention soulage les douleurs et permet de retrouver une identité féminine que la plupart regrettent d’avoir perdue
Dr Sarah Abramowicz
Gynécologue au CHI de Montreuil
Le défi de retrouver une identité féminine
Le parcours de soins dure en moyenne de quatre à cinq mois sans chirurgie et de sept à huit mois minimum quand il y en a une, auxquels il faut ajouter un suivi post-opératoire de six mois. Plusieurs facteurs, qui peuvent se cumuler, apparaissent déterminants pour une entrée dans un parcours : les douleurs, l’absence de plaisir sexuel et le fait de « retrouver une identité féminine, de récupérer ce qu’on leur a pris », liste la praticienne.
L’intervention consiste à « enlever le tissu cicatriciel et à aller chercher le clitoris à l’arrière pour le repositionner et le fixer à l’avant, détaille la spécialiste. La sensibilité et l’anatomie sont restaurées. L’intervention soulage également les douleurs et permet de retrouver une identité féminine que la plupart regrettent d’avoir perdue. »
La chirurgie s’accompagne d’une prise en charge psychologique et sexuelle. « Opérer sans traiter les traumatismes n’a pas de sens, interpelle la Dr Abramowicz. Redonner un organe, celui du plaisir, doit être accompagné. » D’autant que les femmes victimes de mutilations développent plus de troubles que la population générale, notamment des troubles du stress post-traumatique.
Tout pédiatre ou généraliste devrait être capable de réaliser ce repérage
Dr Sarah Abramowicz
L’enjeu porte aussi sur le repérage des mineures à risque. Une étude est en cours sur le sujet, mais plusieurs facteurs sont déjà identifiés : si la mère est excisée, si elle vient d’un pays à risque, si la famille est primo-arrivante. « Tout pédiatre ou généraliste devrait être capable de réaliser ce repérage », plaide la gynécologue.
Face à une suspicion ou à un risque pour une fillette ou une jeune fille, la spécialiste encourage d’abord à dialoguer avec les parents. L’âge auquel les mutilations sont pratiquées dépend des ethnies. « Certaines excisent dans les sept premiers jours de vie, d’autres associent la pratique à un passage à l’âge adulte, pour d’autres encore, c’est avant le mariage », explique la Dr Abramowicz. La mutilation peut être réalisée sur les petites filles françaises lors de la présentation du bébé aux proches restés au pays. « Les pré-adolescentes et adolescentes peuvent aussi être excisées à l’occasion d’un voyage pendant les vacances d’été. Certaines sont mariées tout de suite et ne reviennent pas », poursuit la gynécologue.
Pour les mineures à risque, différents types de signalement sont envisageables. Si le praticien ne perçoit pas un risque imminent, la démarche peut être simplement administrative. « Le médecin se met en lien avec la protection maternelle et infantile de secteur qui va mettre en œuvre des visites à domicile, un suivi de la famille », détaille la Dr Abramowicz. En cas de forte inquiétude, ou si le risque d’excision est imminent, « le signalement se fait auprès des autorités judiciaires pour une prise en charge rapide. Le médecin peut aller jusqu’à contacter le procureur qui peut prononcer une interdiction de sortie du territoire », poursuit-elle. Dans le cadre de demande d’asile pour protéger les mineures à risque, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) demande un certificat médical attestant l’absence de mutilation chez l’enfant et un autre en attestant la présence chez la mère.
Plusieurs ressources sont disponibles pour aider les médecins de premier recours à orienter leurs patientes : les unités pluridisciplinaires concernées, et notamment l’équipe du CH de Montreuil qui communique via un compte Instagram (@reparonslexcision), mais aussi les maisons des femmes. L’association Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles (Gams) met aussi à disposition un annuaire. L’unité de Montreuil travaille à la mise en place d’un espace virtuel de dialogue entre médecins.
E. Salmon et al., Archives of Legal Medicine, juin 2024. doi.org/10.1016/j.aolm.2024.200502
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