Si l’ANSM pourrait lever le voile dès cette fin de semaine sur les mesures retenues pour réduire les prescriptions « inappropriées » de pilules de troisième génération, de nombreuses questions pratiques se posent encore quant à la prise en charge des femmes concernées.
Ni prescription réservée, ni retrait pur et simple. Après 2 semaines de concertation et de polémique, l’ANSM semble finalement avoir exclu la méthode forte pour réduire les prescriptions inappropriées de pilules de 3e génération. Pour autant, l’agence n’a pas dit son dernier mot. Et après le déremboursement anticipé de ces pilules décidé début janvier par Marisol Touraine, l’ANSM pourrait bien, dès cette fin de semaine, annoncer de nouvelles mesures en faveur du bon usage de ces contraceptifs devenus en quelques semaines, dans l’esprit collectif, les médicaments de tous les dangers.
Parmi les pistes envisagées par L’ANSM, « l’encadrement » au moment de la délivrance de ces pilules par le pharmacien pourrait finalement avoir la préférence. La modification de leur RCP a aussi été envisagée afin que leur prescription en première intention devienne clairement hors AMM. Enfin la piste d’un questionnaire à faire remplir par les femmes au moment de la prescription a aussi été évoquée.
Au-delà de ces aspects organisationnels, de nombreuses questions pratiques se posent aussi quand à la prise en charge des patientes concernées.
Qui laisser sous pilules de troisième génération ?
Première interrogation : que proposer aux 1,5 à 2 millions de femmes actuellement sous contraceptifs de 3e génération (C3G) ? « Le sur-risque thrombo-embolique veineux ne justifie pas un arrêt brutal d’une C3G jusque-là bien supportée », précise l’ANSM qui invite les prescripteurs à « envisager avec ces femmes, à l’issue de la prescription en cours, la méthode contraceptive la plus appropriée pour elle (autre contraceptif oral, dispositif intra-utérin, etc.) ».
Le CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français ) va plus loin : «?Le risque de révélation d'une thrombose veineuse apparaissant principalement pendant les premières semaines de la prescription et compte tenu des autres effets secondaires potentiels de toute méthode contraceptive, on ne va pas changer une contraception établie depuis plusieurs mois et bien tolérée », estime son président, le Pr Bernard Hédon (Montpellier).
D’autant, que lors du passage d’une pilule à une autre, le risque thrombo-embolique pourrait être « relancé », notamment en cas de rupture contraceptive entre les deux. « Après un arrêt de 3 mois, le risque thrombo-embolique lors de la réinitialisation d’une contraception œstroprogestative redevient majeur », alerte le Dr Christian Jamin, gynécologue à Paris. Reste que compte tenu du battage médiatique fait sur le sujet et du prochain déremboursement des C3G, de nombreuses femmes devraient être demandeuses d’une modification de leur contraception.
Toutes les pilules de première et deuxième générations sont-elles préconisées ?
Si un changement de pilule est décidé ou en cas de primoprescription, les pouvoirs publics appellent à privilégier systématiquement les contraceptifs œstroprogestatifs plus anciens. L’ANSM oriente vers les pilules de seconde génération contenant du lévornorgestrel alors que la HAS reste plus floue incitant simplement à « préférer les pilules de 1re ou 2e génération » sans distinguo. Or, pour le Pr Israël Nisand (CHU de Strasbourg), le retour à la prescription de certaines pilules de 1re génération ou de 2e génération fortement dosée en éthinylestradiol (EE) type stédiril pourrait être vraiment délétère. « Avec ce type de pilule, le risque de thrombose est trois fois plus important qu’avec une 3e génération, s’énerve ce spécialiste, craignant que les mots d’ordre précipités des pouvoirs publics n’aboutissent à des prescriptions inappropriées. Un point de vue que partage le Dr Jamin : « En première intention, il faut vraiment proposer une C2G à 20 microgrammes d’EE. Sinon, on marche sur la tête ».
Quid des autres pilules ?
Concernant la place des autres pilules œstroprogestatives, le message reste flou, celles-ci n’ayant pas été évaluées par la HAS. Pour les pilules contenant un progestatif de type drospirénone (parfois appelées contraceptifs oraux combinés [COC] de 4e génération), « il est apparu que ces pilules présentent un sur-risque thrombo-embolique par rapport aux C2G », indique la HAS.
Pour les pilules œstroprogestatives contenant un œstrogène naturel comme Zoely® ou Qlaira®, « il n’y a pas d’argument pour les préférer aux précédents », estime la HAS. Le Pr Israël Nisand s’inscrit en faux considérant que ces contraceptifs qui associent un œstrogène naturel faiblement dosé et un progestatif proche des pilules de 2e génération « pourraient constituer une bonne alternative aux C3G et devraient même être remboursées… ».
Quelle évaluation du risque thrombo-embolique ?
Reste la question du risque thrombo-embolique et de son évaluation. L’ANSM incite les prescripteurs à « rechercher les facteurs de risque, notamment de thrombose, lors de toute prescription d’un COC à une nouvelle utilisatrice ». Pour autant, la recherche d’une mutation thrombogène en routine n’est pas du tout justifiée estiment tous les spécialistes. « Environ 10 % des femmes sont porteuses d’une mutation de ce type et seule quelques unes feront réellement une thrombose veineuse, rapporte le Dr Jamin. Rechercher systématiquement ces mutations conduiraient donc à écarter de nombreuses femmes de la contraception de façon injustifiée, avec un coût faramineux ! »
Le gynécologue insiste, en revanche, sur la recherche des facteurs de risque cliniques parmi lesquels il place au premier plan l’obésité et… les arrêts intempestifs de pilule ! « Arrêter et reprendre la pilule constitue le premier facteur de risque de thrombose », insiste-t-il.