Le Quotidien : Qu'attendez-vous du lancement du plan de lutte contre l'infertilité annoncé par Emmanuel Macron ?
Pr Samir Hamamah : Mon vœu le plus cher, c'est la création d'un « Institut national de la fertilité » (IFN), incarnant la médecine de la reproduction. Il serait chargé de piloter, d’animer et de coordonner la recherche, les actions de prévention de l’infertilité et la prise en charge des patients. Pour être optimale, cette dernière devra être pluridisciplinaire et intégrer des gynécologues-obstétriciens, des gynécologues médicaux, des endocrinologues, des biologistes de la reproduction, des sages-femmes…
Cette structure unique en France serait inspirée du mode de fonctionnement de l'Institut national du cancer (Inca) qui est devenu un modèle à suivre à l'échelle internationale. Pour pouvoir créer un tel institut dédié à la fertilité, les différents ministères concernés devront dorénavant travailler en synergie. Nous avons besoin d'une impulsion politique forte : il faut protéger l'espèce humaine au niveau mondial, et la France, de sa disparition pure et simple. M. Macron est sensibilisé à cette question. Par ailleurs, Didier Jaffre, le directeur de l’agence régionale de santé de ma région (Occitanie, NDLR) soutient cette initiative : il a intégré la création d'un IFN dans sa fiche de mission.
Quelles sont, selon vous, les causes sociétales de l'infertilité ? Et comment y remédier ?
Le manque d'information de la population est notoire. Beaucoup de personnes pensent aujourd'hui que la procréation médicalement assistée (PMA) est une recette magique permettant, à coup sûr, d'avoir un enfant. Ils ignorent que le taux de succès d'une fécondation in vitro (FIV) est aux alentours de 20 à 25 %. Ils ne savent pas non plus que la fertilité humaine est optimale à 25 ans. L'ignorance et la déficience de la PMA ont créé une cause sociétale de l'infertilité que je mentionne dans mon rapport.
Il ne faut pas confondre, pour autant, infertilité (en constante augmentation) et baisse de la natalité. Aujourd'hui, 30 % des hommes et des femmes en âge de procréer ne souhaitent pas avoir d'enfant. Les causes sont multiples : inflation, crise du Covid, peur de perdre son emploi, crainte (à tort) de surpeupler la planète… Résultat : en France, le nombre d'accouchements est à son plus bas niveau depuis les années 1970 : 678 000, en 2023. En 30 ans, nous avons perdu quasiment 300 000 naissances annuelles. Seules les grossesses tardives, après 40 ans, sont en augmentation.
Autre point important : l'index de fécondité (nombre d'enfants par femme) actuel est alarmant. Normalement, de nos jours, le seuil de remplacement doit être au moins égal à 2,1 enfants nés vivants en moyenne par femme. Or la France n'est qu'à 1,68. Pire, la population mondiale est vieillissante, y compris sur le continent africain. Pour y remédier, il faut informer et éduquer les adolescents et les jeunes adultes sur les facteurs d'altération de la fertilité. Mais aussi, sur le déclin de la fertilité avec l'âge.
Comment le futur plan pourrait-il aider les médecins à mieux prendre en charge l'infertilité ?
Cela devra passer par une optimisation des formations initiale et continue. On ne peut espérer une stratégie de prévention autour de la préservation de la fertilité sans les professionnels de première ligne : médecins généralistes, infirmières de pratique avancée, sages-femmes… Tous devraient pouvoir effectuer un bilan initial de fertilité.
Il y a encore quelques années, les médecins bénéficiaient de formations complémentaires sur la prévention de la fertilité : pour que de tels actes soient remboursés par l'Assurance-maladie, ils devaient valider un diplôme d’études spécialisées complémentaire (DESC) en médecine de la reproduction ou en andrologie. Les biologistes médicaux pouvaient également valider un master pro dédié à l'Université Paris Cité. Ces formations ont, malheureusement, été supprimées.
À la place, on a créé une FST (formation spécialisée transversale) : on y a intégré les futurs spécialistes en gynécologie obstétrique et médicale, en endocrinologie, en urologie et en biologie médicale. Dans cette FST (MBDR/Andrologie), cinq spécialités sont axées en médecine et biologie de la reproduction et en andrologie. Or, aujourd'hui, le ministère de l’Enseignement supérieur n'a ouvert que 110 postes de formation pour les 330 internes actuels. Autrement dit, deux tiers des internes risquent de quitter l'internat sans formation complémentaire en matière de médecine et biologie de la reproduction et d'andrologie !
Depuis la publication de votre rapport, quel est l'axe qui a particulièrement progressé en France ?
Le seul axe pour lequel nous sommes en bonne voie, c'est celui de la recherche. Dans le cadre de « France 2030 », l'État a accordé 30 millions d'euros intégrés à un PEPR accélérateur (programme et équipements prioritaires de recherche, NDLR) autour de deux axes : fertilité et endométriose. Ce financement s'inscrit dans le cadre du mandat que le ministère de l’Enseignement supérieur a transmis à l'Inserm. L'appel d'offres à projet concernant ce PEPR devrait être lancé le 29 janvier. Cette enveloppe a été partagée entre la recherche sur la fertilité (14 millions d'euros), celle dédiée à l'endométriose (11 millions d'euros), une étude de cohorte (5 millions d'euros). Il faut ajouter à cela, le financement de 10 bourses de post-doc et 17 bourses de thèse. Je salue l'initiative du Pr Didier Samuel (PDG de l'Inserm) qui a tenu à ce que les termes « fertilité » ou « reproduction » fassent enfin partie des intitulés des instituts thématiques de l'Inserm.
Lancement du premier plan de lutte contre l'infertilité en France
Comme dans l’ensemble des pays industrialisés, la hausse de l’infertilité en France résulte d’abord du recul de l’âge à la maternité. En quatre décennies, cet âge a augmenté de cinq ans. En 2019, les Françaises avaient leur premier enfant à 29 ans, en moyenne. En 2022, 30 % d’enfants sont nés d'une mère de 35 ans et plus et d’un père de 38 ans et plus.
Les facteurs environnementaux sont un autre facteur explicatif. Une méta-analyse réalisée en 2017 montre un déclin de plus de 50 % de la concentration spermatique chez les hommes des pays industrialisés entre 1973 et 2011; la tendance se poursuit certainement au même rythme depuis cette date. Ce phénomène est lié notamment à une exposition régulière aux perturbateurs endocriniens. Mais aussi à un mode de vie délétère pour la fertilité des hommes et des femmes : consommation de tabac ou de cannabis, obésité, malbouffe, troubles de l’alimentation…
Les causes médicales ne sont pas en reste. Chez la femme, l'infertilité peut avoir une origine mécanique (endométriose, par exemple) ou hormonale (notamment syndrome des ovaires polykystiques). Chez l'homme, l’infertilité peut être d'origine endocrinienne, testiculaire, ou être liée à des lésions des voies génitales. Le rapport sur l'infertilité publié en février 2022 a permis de recenser les causes et de proposer un plan comprenant six axes d'amélioration. Le lancement de ce plan - annoncé mardi 16 janvier par le président de la République et prévu par la loi du 2 août 2021 – devrait améliorer la recherche, l'information du grand public (notamment, des jeunes), la formation initiale et continue des médecins. Et surtout, permettre la création d'un institut national pluridisciplinaire, garant de la coordination des acteurs de la prévention et de la prise en charge de l’infertilité.
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