L’équipe du King’s College de Londres, dont les travaux sur le dosage du PLGF (pour Placental Growth Factor) pour améliorer le diagnostic de la pré-éclampsie ont abouti à des recommandations nationales, a publié de nouveaux résultats dans The Lancet. Dans l’étude Parrot 2, les chercheurs britanniques montrent qu’un seul dosage suffit pour prédire le risque de pré-éclampsie par rapport à des dosages répétés.
Le PLGF, une molécule pro-angiogénique, et le sFlt-1 (récepteur soluble du Vascular Endothelial Growth Factor [VEGF]), une molécule anti-angiogénique, lorsqu’elles sont déséquilibrées, sont associées à un risque vasculo-placentaire. Ainsi, le dosage du PLGF et le rapport sFlt-1/PLGF peuvent avoir une valeur prédictive du risque de pré-éclampsie.
Si le National Institute for Health and Care Excellence (Nice) et l’International Society for the Study of Hypertension in Pregnancy recommandent le dosage PLGF en cas de suspicion d’une pré-éclampsie, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) ne l’a pas intégré dans ses recommandations : « En cas de suspicion de pré-éclampsie (recommandation faible, qualité de la preuve modérée) et de pré-éclampsie avérée (recommandation faible, qualité de la preuve basse), il est recommandé de ne pas utiliser en routine le dosage du PLGF ou du ratio sFLT-1/PLGF dans le seul but de réduire la morbidité maternelle ou périnatale », lit-on.
Le Pr Loïc Sentilhes, chef du service de gynécologie-obstétrique du CHU de Bordeaux, membre du CNGOF et coordonateur du groupe de travail sur la pré-éclampsie, détaille cette position pour le Quotidien : « Il y a en effet une différence entre la France et le Royaume-Uni sur cette question. Le CNGOF a décidé de ne pas inclure le dosage PLGF dans ses recommandations sur la pré-éclampsie en raison d’un niveau de preuves insuffisant. Il n’y a eu que trois essais sur l’intérêt de ce dosage en cas de suspicion d’une pré-éclampsie. L’un, Parrot 1, ayant été réalisé au Royaume-Uni par la même équipe que Parrot 2, a retrouvé chez les femmes ayant eu un dosage du PLGF une diminution significative, mais faible (1,6 %) de morbidité maternelle, essentiellement par une diminution du nombre de patientes ayant reçu une transfusion, ce critère étant un critère de jugement secondaire. Un autre essai réalisé en Irlande, mais arrêté prématurément, qui a inclus plus de 2 000 femmes suspectées de pré-éclampsie, n’a pas montré de différence de morbidité maternelle (et néonatale sévère) entre les deux groupes. Enfin, un troisième de moindre envergure ayant inclus 370 femmes (Inspire) n’a pas montré non plus d’amélioration de la santé des femmes et des enfants. De plus, les taux de pré-éclampsie entre l’essai Parrot 1 (environ 35 %), l’essai Parrot Irlande (environ 13 %) et l’essai Inspire (23 %) suggèrent l’inclusion de femmes ayant toutes une suspicion de pré-éclampsie au profil de risque en réalité très différente, ce qui limite la généralisation des résultats. »
En effet, les critères de la suspicion de pré-éclampsie ne font actuellement pas consensus et présentent une part de variabilité d’un praticien à l’autre (maux de tête “sévères”, douleurs épigastriques…). « De surcroit, les valeurs seuils de dosage des biomarqueurs ne sont pas interchangeables selon les techniques et les kits de dosage utilisés, et les mesures à préconiser en fonction du résultat du test (élevé, zone intermédiaire, faible) ne font pas consensus non plus ; l’algorithme proposé par le Nice est complexe et difficilement assimilable par tous les soignants », ajoute le gynécologue-obstétricien.
Des dosages répétés moins préférables qu’un unique dosage
L’étude pragmatique Parrot 2 succède à Parrot 1. Ce premier travail mené chez 1 093 patientes avait montré que le dosage du PLGF réduisait le délai diagnostique de la pré-éclampsie et les événements sévères maternels (OR = 0,32). Le dosage systématique du PLGF est depuis réalisé au Royaume-Uni chez les femmes suspectées de pré-éclampsie. Il s’agit des femmes montrant au moins un des signes suivants : apparition ou aggravation d’une hypertension artérielle, protéinurie au test urinaire, maux de tête sévères ou symptômes neurologiques, douleurs épigastriques ou du quadrant supérieur droit, croissance fœtale suspecte ou tests sanguins anormaux.
Dans Parrot 2, les auteurs ont voulu savoir si la répétition de ce dosage durant la grossesse pouvait être intéressant pour améliorer le pronostic périnatal. Ont ainsi été recrutées 1 253 femmes de plus de 18 ans, ayant une grossesse unique d’un fœtus vivant, entre 22 et 35 semaines et 6 jours de gestation présentant au moins un des critères cités. Les patientes étaient assignées dans deux bras : un bras où les résultats des dosages du PLGF étaient partagés (n = 625) avec les praticiens et les familles, et un bras où ils ne l’étaient pas (n = 627).
Le critère composite primaire comportait la mortinatalité, le décès néonatal précoce (dans les sept jours suivant l'accouchement) ou l’admission en unité néonatale (séparation physique d'un nourrisson de sa mère ou de ses parents) avant la sortie de l'hôpital du nourrisson). Les résultats n'étaient pas significativement différents entre les deux groupes (RR = 1,21).
Les auteurs concluent que si les tests répétés pouvaient réduire le délai diagnostique, ils ne permettaient pas un meilleur pronostic périnatal pour la mère et l’enfant, et incitaient donc à conserver seulement un test systématique recommandé par le Nice en cas de suspicion de pré-éclampsie. « Les résultats de cet essai devraient permettre d'abaisser encore les obstacles à l'adoption équitable et généralisée du test initial basé sur le facteur de croissance placentaire, améliorant ainsi la santé maternelle à l'échelle mondiale […] le moment est venu de veiller à ce que les tests basés sur le facteur de croissance placentaire soient largement mis en œuvre dans tous les établissements de soins de santé », commente la Pr Lucy Chappell, l’autrice senior de Parrot 2.
Une interprétation que nuance le Pr Sentilhes devant « le nombre de naissances prématurées (avant 34 semaines d’aménorrhée) et de naissances par césariennes rapportées par les auteurs, du fait probablement de comportements interventionnistes influencés par le taux de PLGF. L’étude Parrot 2 et la méthode sont robustes, et les résultats sont utiles pour la pratique. Mais, contrairement à ce que conclut la Pr Chapell, il n’est toujours pas clairement démontré que le dosage du PLGF permet d’améliorer la santé des femmes et il n’est donc pas justifié de faire évoluer les recommandations du CNGOF. Cependant, une étude multicentrique française (RANSPre) est actuellement menée par le Pr Tsatsaris pour évaluer l’intérêt du dépistage de la pré-éclampsie incluant le dosage des marqueurs angiogéniques chez toutes les femmes au 1er trimestre pour améliorer la santé des mères et des enfants », conclut Loïc Sentilhes. ».
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