Née dans les laboratoires français et commercialisée par la biotech Bluebird sous le nom de Skysona, la thérapie génique élivaldogène autotemcel, ou eli-cel, est efficace à 6 ans dans l’adrénoleucodystrophie cérébrale, mais 7 des 67 patients traités ont développé un cancer hématologique (l’un d’eux une leucémie myéloïde aiguë et six un syndrome myélodysplasique). Quatre d’entre eux ont été guéris par une greffe de cellules souches hématopoïétiques et un enfant est décédé. Telle est l’analyse à long terme réalisée par une équipe américaine dans deux études publiées dans The New England Journal of Medicine, l’une sur l’efficacité et l’autre sur la tolérance.
L’adrénoleucodystrophie cérébrale est une forme sévère d’adrénoleucodystrophie liée à l’X. Elle se caractérise par une perte de matière blanche, une dégradation des fonctions neurologiques et un décès prématuré. En 2017, une équipe internationale avait publié des résultats très encourageants de la thérapie génique baptisée elivaldogene autotemcel, ou eli-cel, chez 17 garçons âgés de 4 à 17 ans avec un suivi d'un peu plus de 2 ans.
La thérapie eli-cel consiste à introduire dans des CD34+ autologues, via un vecteur lentiviral, une copie fonctionnelle du gène ABCD1, codant pour la production de la protéine d'adrénoleucodystrophie (ALDP), puis à les réinjecter au patient.
Le risque oncogénique est un écueil bien connu dans le développement des thérapies géniques. Comme le rappelle un éditorial associé, les premières thérapies géniques mises au point il y a plus de 30 ans ont fait appel à des vecteurs rétroviraux. À la suite de nombreux cancers hématologiques, la recherche s’est tournée vers des vecteurs lentiviraux, au profil de sécurité a priori meilleur. « Néanmoins, n’importe quel vecteur, y compris lentiviral, s’intégrant de manière semi-aléatoire dans le génome, a le potentiel théorique de déréguler les gènes éloignés à des centaines de kilobases », écrit l’éditorialiste Cynthia Dunbar, hématologue et chercheuse aux Instituts américains de la santé.
81 % de patients sans handicap
Dans la première étude de phase 2-3, le nombre total de patients traités s’élève à 32, dont 29 (90 %) ont complété au moins deux ans de suivi. Après un suivi médian de 6 ans, 81 % des patients ne souffraient d’aucun handicap fonctionnel majeur, et le taux de survie était de 94 %. Un patient a développé un syndrome myélodysplasique avec excès de blastes, a priori en lien avec le vecteur lentiviral. Traité par greffe de cellules souches hématopoïétiques, il était toujours en rémission lors du dernier rendez-vous de suivi.
Ce risque oncogène est davantage étudié dans le second article. Ses auteurs ont procédé à une analyse plus poussée des 67 patients issus de cette étude dite ALD-102 et d’une autre très proche ALD-104. Il ressort que 7 d’entre eux (1 dans ALD-102 et 6 dans ALD-104) ont développé un cancer hématologique : un syndrome myélodysplasique avec dysplasie unilignée (n=2), un syndrome myélodysplasique avec excès de blastes (n=3), un syndrome myélodysplasique (n=1) ou une leucémie myéloïde aiguë (n=1).
Les chercheurs ont pu rassembler des données détaillées pour six de ces patients et constater que les cellules cancéreuses contiennent majoritairement des insertions du vecteur lentiviral à de multiples endroits de leur génome. Cinq patients ont été traités par une greffe allogénique de cellules souches hématopoïétiques, et si quatre ont été guéris sans rechute observée à ce jour, l’un d’entre eux est décédé d’une probable réaction du greffon contre l’hôte.
Travailler à des vecteurs moins génotoxiques
« Je crains que d’autres cas de cancer hématologique ne surviennent dans le temps chez les patients avec une adrénoleucodystrophie cérébrale qui ont reçu une thérapie génique lentivirale », écrit la Dr Dunbar. Alors faut-il continuer à proposer la thérapie, compte tenu de ces événements préoccupants ? D’autres pistes sont à l’étude comme l’édition de gène, mais « probablement à des années de pouvoir être appliquées en clinique » et « avec des risques génotoxiques qui sont moins compris », quand, dans le même temps, la thérapie génique a « préservé de façon remarquable la fonction neurologique et a prolongé la vie des patients traités précocement ». « J’espère que des modifications de vecteur pourront rendre le processus moins génotoxique dans le futur », conclut-elle.
Eli-cel a reçu une autorisation de mise sur le marché délivré par l’Agence du médicament américaine (FDA), aux États-Unis, en septembre 2022. En Europe, la thérapie génique avait reçu la dénomination de médicament orphelin en juin 2012, avant d’être autorisée en juillet 2021. Néanmoins Bluebird, ne jugeant pas le marché assez porteur, a arrêté toutes ses activités sur notre continent.
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