Auditionnée ce 14 février par la commission des affaires sociales du Sénat, la Dr Marine Jeantet, directrice générale de l’Agence de biomédecine (ABM), a donné « (sa) version » sur les recommandations formulées par la Cour des comptes dans un rapport sur les missions de l’agence depuis la loi de bioéthique, remis le 31 janvier.
Alors que les Sages de la rue Cambon pointent un niveau décevant des greffes depuis plusieurs années, un important taux d’opposition du défunt rapportée par les proches et une trop grande dépendance à l’international pour les cellules souches hématopoïétiques (CSH), la Dr Jeantet a « rectifié » certaines « inexactitudes » et défendu le bilan de l’agence.
Des objectifs « ambitieux » mais « inatteignables »
Critique majeure de la Cour, l’activité de prélèvements et de greffes ne remplit pas les objectifs fixés par les plans qui encadrent le travail de l’ABM. La Dr Jeantet a rappelé que ces ambitions sont du ressort des ministres et répondent à des « objectifs de santé publique » et à des « ambitions politiques ». L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) elle-même a jugé que les objectifs qualifiés d’« ambitieux » étaient « inatteignables ». La cible à atteindre ne correspond pas à une « capacité à faire du système de soins », a-t-elle poursuivi, rappelant que l’ABM a désormais des « couloirs de croissance » (similaires aux courbes de croissance des enfants), plutôt que des objectifs précis.
Aussi, une partie de ces objectifs « ne dépend pas directement » de l’ABM, mais des établissements. La crise que traverse l’hôpital et la désorganisation qui a suivi la pandémie de Covid ne sont pas mentionnées dans le rapport, malgré leur impact important avec des départs de personnel et la fermeture d’une partie des blocs et des lits, a-t-elle déploré. Les établissements « n’ont pas encore retrouvé le niveau de chirurgies d’avant crise et la greffe ne fait pas exception », a-t-elle insisté, saluant la mobilisation des équipes hospitalières.
Face aux difficultés rencontrées sur le terrain, la patronne de l’ABM a entamé une « tournée » des CHU pour analyser les problématiques et les solutions locales. La récente mise en place de référents dans chaque agence régionale de santé (ARS) devrait aussi contribuer à améliorer les performances, anticipe-t-elle.
Pour les refus, des déterminants sociaux à analyser
Concernant le taux d’opposition du défunt rapportée par les proches, qui a atteint en 2023 le niveau record de 36,1 % (+3 % par rapport à 2022), alors que 80 % des Français sont favorables au don de leurs organes après leur mort, la Dr Jeantet a rappelé que le phénomène était « multifactoriel » avec des « déterminants hospitaliers » (formation des professionnels, effectif disponible dans les services pour aborder les proches, etc.), mais aussi « sociétaux et sociaux qu’il faut creuser ». La veille, lors d’un point presse sur le bilan d’activité de l’agence, elle a indiqué des collaborations prévues avec des sociologues pour mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre.
La médecin de santé publique est également revenue sur le recul important de l’activité de prélèvements dans deux régions, Nouvelle Aquitaine et Auvergne Rhône-Alpes. Cette contre-performance ne s’explique pas par le taux d’opposition, plutôt stable dans les deux territoires, mais est « très » liée à « la désorganisation hospitalière », analyse la Dr Jeantet.
La Cour pointe aussi l’hétérogénéité d’accès à la liste d’attente. Or ce qui compte, c’est l’accès à la greffe, a plaidé la patronne de l’ABM, concédant que c’est « un vrai sujet en outre-mer et dans le nord de la France ». Ces territoires cumulent une prévalence importante de maladies chroniques avec une offre de soins réduite et moins de prélèvements réalisés.
Autre critique des Sages de la rue Cambon, l’ABM ne diffuse pas assez les recommandations sur la dialyse rédigées par la Haute Autorité de santé (HAS) en 2015 . « Ce n’est pas notre mission », a rétorqué la Dr Jeantet. L’agence travaille tout de même sur le sujet et met à disposition des professionnels des outils pour optimiser les prises en charge, a-t-elle rappelé. L’ABM a élaboré un « score pour répartir de la manière la moins inéquitable possible le poids de la pénurie d’organes », a-t-elle ajouté.
L’Agence a aussi entrepris une stratégie de « diversification des sources » pour les greffes rénales (qui représentent 63 % de l’ensemble des greffes). Alors que l’ambition est d’atteindre 20 % de greffons rénaux issus de donneurs vivants, l’Agence affiche un taux de 16 % en 2023, se félicite la Dr Jeantet.
Des banques de tissus en manque de pilotage
Concernant les tissus (dont l’activité a progressé de 11,5 % en 2023), la directrice s’est dit en « accord avec la Cour » : l’organisation des banques est un « gros sujet », qui n’est « pas piloté par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) ». D’ailleurs, « personne ne pilote » ce dossier, a-t-elle commenté.
Pour les cellules souches hématopoïétiques (CSH), la Cour déplore que 90 % viennent de l’étranger. Mais, comme pour le partage de greffons non utilisés, c’est une relation « dans les deux sens », a répondu la Dr Jeantet, soulignant que des « prélèvements de Français » servent à des patients à l’international. En parallèle, l’ABM a mené une campagne de communication pour masculiniser les dons, en ciblant notamment les hommes issus de la diversité. L’initiative a remporté un certain succès, avec un taux d’hommes parmi les donneurs passant de 24 % en 2021 à 36 % en 2023. « On a inversé la tendance en deux ans », se félicite la Dr Jeantet.
Communiquer pour déconstruire les idées reçues
Sur le volet communication, la médecin de santé publique a rappelé que l’ABM disposait d’un budget de 2 millions d’euros par an, à mettre en rapport avec les 10 millions annuels de budget de communication du Mois sans tabac et les 150 millions d’euros par an pour la pub de Nutella.
Les défis de communication de l’agence sont néanmoins importants car les idées reçues sur le don d’organes persistent. La Dr Jeantet a tenu à rappeler que les critères d’attribution des greffons sont « uniquement médicaux », qu’il n’y a « pas de limite d’âge », que l’usage des greffons est « strictement thérapeutique » et aussi que les corps prélevés sont compatibles avec les rites funéraires religieux. Déconstruire ces idées reçues auprès de la communauté soignante peut être un « levier » important, estime-t-elle.
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