Diagnostic, prise en charge, désensibilisation… Pendant plus d’une heure, le Dr Julien Cottet a répondu aux lecteurs du « Quotidien » au cours d’un Live chat consacré aux allergies. L’allergologue, vice-président de la Société française d’allergologie (SFA), a rappelé à quel point la situation était préoccupante alors que plus d’un quart de la population française est aujourd’hui concernée par une allergie respiratoire ou alimentaire. Le médecin a rappelé les traitements et les techniques de sensibilisation le plus efficaces. Mais dans la plupart des allergies, « parler de guérison serait un mensonge », reconnaît le spécialiste qui préfère mettre l’accent sur une amélioration de la qualité de vie des patients.
Journaliste QDM (SL)
Bonjour à toutes et à tous.
Bienvenue sur lequotidiendumedecin.fr.
Nous accueillons aujourd’hui le Dr Julien Cottet, allergologue et vice-président de la Société française d’allergologie. Pendant une heure, il répondra à vos questions sur la prise en charge des allergies respiratoire ou alimentaire.
Dr Julien Cottet
Bonjour à toutes et à tous, ravi d'être avec vous, je suis à votre écoute !
Journaliste QDM (SL)
Le Dr Cottet est en ligne depuis Chartres où il exerce. Le Live chat va bientôt commencer.
Journaliste QDM (SL)
Bonjour Dr Julien Cottet.
Merci d’avoir accepté notre invitation à ce Live chat.
Journaliste QDM (PT)
Bonjour.
Concernant les pollens, sommes-nous plus exposés en ville par rapport à la campagne ? A part les antihistaminiques, existe-t-il d'autres traitements plus efficaces ?
Dr Julien Cottet
Les pollens volent sur plusieurs kilomètres, que ce soit les pollens d'arbres ou de graminées. Donc, tout le monde est exposé. En revanche, la pollution accentue la sévérité de la maladie. Les patients en zone urbaine peuvent présenter des réactions beaucoup plus sévères, notamment de l'asthme.
Il faut distinguer les symptômes ORL, de ceux pulmonaires : la rhinite et la conjonctivite peuvent en effet être prises en charge par des anti-histaminiques per os et surtout le traitement local (spray nasal, collyres). Dans un cas sur deux, la rhinite évolue vers l'asthme (toux, essoufflement) et là les anti-histaminiques n'ont aucun effet. Il faut absolument introduire un traitement inhalé.
Le seul traitement curatif existant, recommandé par l'OMS, pris en charge par la Sécurité sociale et les complémentaires est la désensibilisation. Elle permet le contrôle des symptômes, la réduction de risque d'apparition de l'asthme et une diminution de consommation d'anti-histaminiques. C'est pourquoi il faut la commencer le plus tôt possible.
Journaliste QDM (PT)
Bonjour Monsieur.
Comment un malade peut-il arriver en consultation et dire "Je suis allergique" ? Cela m’énerve au plus au point car il faut qu’il décrive ses symptômes et/ou réponde à notre interrogatoire pour que l’on puisse éliminer plein d’autres diagnostics...
Merci.
Dr Julien Cottet
Je comprends votre agacement mais il ne faut pas oublier que 25% de la population est actuellement allergique et que l'errance diagnostique est en moyenne de 7 ans. De plus, c'est une pathologie souvent sous-estimée dans sa sévérité et les patients ne se sentent pas entendus.
Oui, vous avez raison de mener votre interrogatoire correctement, mais ce genre de situation sera de plus en plus fréquent au vu de l'explosion de la prévalence.
yumna
Faut-il passer à un régime d'éviction du gluten sur cassure de la courbe pondérale avant confirmation biologique chez un enfant de 10 mois ?
Dr Julien Cottet
Premièrement, le diagnostic de maladie coeliaque est à la fois histologique (coloscopie) et biologique, et, du ressort du gastro-pédiatre, n'est pas une maladie allergique. Devant une cassure de courbe, on peut penser à une allergie alimentaire mais elle sera plutôt orientée vers le lait. Non, pas d'éviction de gluten devant une cassure de courbe.
Tonton Eugène
Rhinite allergique et non allergique : quelle différence ?
Dr Julien Cottet
L'immense majorité des rhinites sont non allergiques.
Je vous conseille de regarder la classification de la SFORL. Une rhinite non allergique peut être intrinsèque (vasomotrice, RGO, hypothyroïdie, grossesse...) ou extrinsèque (liée à un médicament, irritative, professionnelle...). Elle peut être auto-immune.
La rhinite allergique, quant à elle, est vraiment en lien avec l'exposition avec l'allergène. C'est l'interrogatoire policier qui permet de poser le diagnostic en le confrontant aux test cutanés. Attention, on peut parler de rhinite allergique chez l'enfant ; mais à l'âge adulte, la rhinite est quasi systématiquement intriquée (allergique + non allergique).
Ce qui complique la prise en charge, et fait que la désensibilisation fonctionne moins bien chez l'adulte. Une coopération ORL/allergologue est préconisée. Qu'elle soit allergique ou non, dans un cas sur deux elle évolue vers l'asthme : c'est l'élément primordial à retenir. Il faut donc toujours traiter les rhinites efficacement et ne pas sous-estimer la gravité de l'évolution.
Journaliste QDM (PT)
Le bilan allergique est-il toujours nécessaire ? Peut-on s'en passer en cas de symptômes saisonniers liés aux pollen, légers et bien contrôlés sous traitement ?
Dr Julien Cottet
Oui, vous avez entièrement raison. Il faut se référer à la classification ARIA. Si les symptômes durent moins de quatre semaines et moins de quatre jours par semaine et sont contrôlés par les traitements symptomatiques, alors la désensibilisation n'est pas indiquée et le bilan n'est pas utile. En revanche, au moindre doute sur un asthme associé ou des symptômes ORL persistants et/ou sévères, il faut un bilan.
Med33
Bonjour,
Dans quels cas faut-il adresser à un allergologue chez l'enfant et l'adulte ?
Dr Julien Cottet
Toute suspicion d'asthme nécessite un bilan allergologique quel que soit l'âge (+ une radio pulmonaire + EFR, cf recos). Toute rhinite persistante ou sévère nécessite un bilan allergologique et toute suspicion d'anaphylaxie alimentaire également.
Placebobo
À partir de quel moment est-il pertinent de prescrire un traitement de la phase aiguë d'une allergie respiratoire (salbutamol, par exemple) ? Dès les premiers épisodes ou est-ce qu'il vaut mieux anticiper ?
Dr Julien Cottet
L'asthme est une maladie inflammatoire et le salbutamol n'est pas un anti-inflammatoire. Les dernières données de la science et les recommandations mondiales du GINA depuis plusieurs années vont dans le même sens : il faut traiter tôt, et fort, et préférer les traitements combinés corticoïdes/bêta2. Le fait d'avoir une petite dose de corticoïdes inhalés régulièrement est bénéfique au patient. Pour vous parler d'anticipation, effectivement en période pollinique, un patient asthmatique connu devrait préférentiellement surveiller sur l'application de son choix les relevés et commencer son traitement inhalé corticoïdes/bêta2 dès les premières émissions, tous les jours, jusqu'à la fin du pic. L'asthme est une maladie mortelle : 1 000 morts par an en France.
Protégeons nos patients avec des traitements de fond.
Journaliste QDM (PT)
Bonjour
Enfant né dans une fratrie avec antécédents d'allergie chez deux frères : un allergique aux pollen de graminées, de fleur, à la pomme et au kiwi (we've got a bingo !) et un autre seulement au bouleau.
A-t-il un risque accru d'allergie ? Quelle surveillance ? Des conseils à donner aux parents ?
Dr Julien Cottet
Quand on a un parent allergique, on a 50% de chances de l'être et quand on a deux parents allergiques, le risque est de 80%.
C'est l'atopie qui se transmet et non l'allergie elle-même. Cet enfant a donc un bagage génétique à fabriquer des IgE mais on ne peut pas savoir si il fera tout comme des allergies plutôt ORL ou s'il fera de l'allergie alimentaire grave ou de l'asthme ou de la dermatite atopique. Il faut dire aux parents d'être vigilants et de consulter un allergologue au moindre doute. S'il est atteint d'une dermatite atopique, il faut le traiter très efficacement pour ne pas que les allergènes traversent la barrière cutanée. Pour finir, aucun régime alimentaire préventif. Au contraire, plus on diversifie tôt les aliments à risque, plus on force la tolérance.
Journaliste QDM (SL)
pseudo
Quelles sont les techniques de désensibilisation les plus efficaces aujourd'hui ?
Dr Julien Cottet
Il existe des désensibilisations au venin d'hyménoptères par voie sous-cutanée, initiation hospitalière, poursuite en ambulatoire : elles ont fait la preuve de leur efficacité et sont réservées aux réactions anaphylactiques de grade 2 et plus.
Sur le plan respiratoire, il existe de désensibilisation en comprimés sublinguaux (acariens, pollens de graminées, pollen de bouleau) : preuve AMM et recommandés par le Gina (Global Initiative for Asthma). Il existe également des désensibilisations en liquide (Apsi) livrées chez le patient. Elle n'ont pas fait l'objet d'un parcours AMM mais nous avons des preuves d'efficacité et de tolérance en randomisé double aveugle contre placebo et des données de vie réelle sur des cohortes rétrospectives. Il n'y a pas d'étude comparative entre le deux formes. Nous choisissons en fonction du profil du patient et de l'allergène à désensibiliser, les Apsi (allergènes préparés spécialement pour un individu) offrant une gamme plus large (chat, chien, pollen d'urticacées, nombreux pollens d'arbres, moisissures).
Sur le plan alimentaire, on ne parle pas de désensibilisation mais d'accoutumance. Pour les aliments à haut risque de réaction sévère (légumineuses, fruits à coque) nous faisons des ré-introductions à l'hôpital poursuivies en ambulatoire : l'objectif n'est pas la guérison mais l'amélioration de la qualité de vie en permettant au patient d'ingérer des petites doses.
Enfin, sur le plan médicamenteux, dans les cas nécessitant absolument la reprise du médicament (chimiothérapie, bêtabloquants, aspirine...), certains centres pratiquent des inductions de tolérance.
Allergo
Quelle classe de spray nasal choisir en première intention svp ?
Quel antihistaminique choisir en première intention svp ?
Dr Julien Cottet
Pour le spray nasal, il recommandé en première intention un corticoïde seul chez l'enfant comme chez l'adulte. Les données de tolérance sont rassurantes. Il faut privilégier un corticoïde nasal sans chlorure de benzalkonium qui est un conservateur quaternaire très toxique et allergisant (le comble !). Il faut bien expliquer au patient la technique d'utilisation du spray. C'est primordial, car bien souvent l'échec ne vient pas du traitement mais de sa mauvaise manipulation.
Pour l'anti-H1, il est recommandé de débuter par un anti-H1 de 2e génération, en raison de son profil de tolérance. Aucun anti-histaminique n'est supérieur à un autre en termes d'efficacité. En revanche, les patients ont tous une sensibilité envers une sous-classe d'antihistaminique, ce qui explique pourquoi ils réagissent à certains et pas à d'autres : il ne faut donc pas hésiter à changer de sous-classe pour trouver celui qui correspond le mieux au patient.
La première sous-classe est les pipérazines : cétirizine et lévocéti.
Deuxième sous-classe : pipéridine, c'est-à-dire loratadine, ébastine, desloratadine, rupatadine.
Troisième sous-classe : bilastine.
En cas d'inefficacité ou de problème de tolérance : changez de sous-classe !
Doc93
Quels conseils de diversification alimentaire donner pour diminuer le risque d'allergie en population générale ?
Dr Julien Cottet
Excellente question ! Les données de la science montrent que plus tôt on diversifie, plus le risque d'allergie alimentaire diminue, d'autant plus dans une famille atopique. Il faut commencer dès l'âge de 4 mois les fruits et les légumes, dès l'âge de 6 mois poisson, viande et œufs, et ne pas hésitez à introduire les fruits à coque et l'arachide à petite dose, en poudre mélangée le plus tôt possible, sans attendre que l'enfant ait des dents.
amalia
Où en est on des connaissances théoriques des allergies ? Quelles sont les recherches en cours ?
Dr Julien Cottet
On a longtemps cru que tout pouvait être expliqué par la théorie hygiéniste. Ce modèle n'explique malheureusement pas tout et nous savons désormais que l'altération de la barrière cutanée, liée à nos modes de vie (saponification excessive, pollution, irritants) est un facteur majeur de sensibilisation. Les recherches sont également orientées vers le microbiote intestinal, sa dérégulation étant pointée du doigt. Il n'y a aucune certitude, les modèles théoriques ne s'affrontent pas et sont plutôt intriqués.
Doc G
On voit tout le temps dans la presse sortir des articles sur le thème "demain, tous allergiques". Est-ce une réalité épidémiologique ?
Dr Julien Cottet
C'est plus qu'une réalité, c'est une catastrophe ! 3% d'allergiques en 1980, 25% aujourd'hui, 50% en 2050,selon l'OMS. 10% des enfants asthmatiques et 7% des adultes à l'heure actuelle. Une rhinite sur deux évolue vers l'asthme.
Journaliste QDM (SL)
Ce Live chat est sur le point de se terminer. Une dernière question.
-Med33
Dans quels cas peut-on espérer "guérir" d'une allergie ? Reste-t-on allergique à vie ?
Dr Julien Cottet
L'allergie aux protéines de lait de vache et à l'œuf guérissent dans la majorité des cas spontanément. Les autres allergies alimentaires graves (légumineuses, fruits à coque...) ne guérissent pas. L'eczéma de contact allergique ne guérit pas, hormis si éviction. L'asthme et la rhinite ne guérissent pas, la désensibilisation permet une amélioration de la qualité de vie et un contrôle des symptômes. Mais parler de guérison serait un mensonge.
Journaliste QDM (SL)
C’est fini pour aujourd’hui !
Merci Dr Cottet d’avoir participé à ce Live chat avec les lecteurs du « Quotidien ».
À vous le mot de la fin.
Dr Julien Cottet
Merci à tous pour vos questions pertinentes !
N'hésitez pas à consulter
le site de la Semaine mondiale de l'allergie qui se déroule cette semaine : vos y trouverez des vidéos, des podcasts, des reportages où vous pourrez apprendre plein de choses.
Journaliste QDM (SL)
Merci à toutes et à tous pour votre participation. Rendez-vous prochainement pour un nouveau Live chat.
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