La machine de perfusion normothermique Wyss, mise au point par une équipe suisse, permet à la fois de « réparer » un foie abîmé et de le préserver hors du corps jusqu'à deux semaines. Il y a deux ans, un premier patient a pu bénéficier d'un greffon traité pendant trois jours par cette machine. Une étude parue dans « Nature Biotechnology » en mai 2022 décrit ce cas (1). « Aujourd'hui, le patient va très bien », assure au « Quotidien » le Pr Pierre-Alain Clavien de l'hôpital universitaire de Zurich et premier auteur, dont les travaux ont été mis à l'honneur à l'Académie de chirurgie le 29 mars dernier.
La machine permet de recréer les conditions dans lesquelles se trouve normalement le foie, en normothermie. « Nous avons développé une machine qui imite le corps humain, en reproduisant ses différentes fonctions, à l'aide d'un système de dialyse, d'une pompe qui mime le cœur, d'injections d'hormones via des capteurs automatiques… », décrit le chirurgien, précisant qu'il a fallu six ans aux ingénieurs pour la fabriquer.
Dans une précédente étude de 2020, également publiée dans « Nature Biotechnology », le Pr Clavien et son équipe avaient testé la machine de perfusion sur dix foies jugés de trop mauvaise qualité pour être utilisés par les centres de transplantation (2). Six avaient pu récupérer des fonctions normales après une semaine, mais ils n'avaient alors pas été greffés.
Des greffons maintenus jusqu'à 15 jours
« Le processus de réparation du foie après prélèvement nécessite au moins trois jours, mais nous avons réussi à maintenir certains foies jusqu'à 15 jours. Un autre intérêt est d'enlever le plus possible de graisse accumulée dans le foie, car la stéatose hépatique est l'une des principales causes de mal ou non-fonction des greffons après transplantation. Ils ne sont pas utilisés s'ils présentent des dépôts de macrostéatose dans plus de 30 % des hépatocytes », explique le médecin suisse.
Un premier patient, un homme d'une soixantaine d'années avec un carcinome hépatocellulaire récidivant, a pu être transplanté en mai 2021. « Il était à la limite des critères pour la transplantation. Son foie était cirrhotique mais pas dans un état désastreux. Ses chances d'avoir un organe à temps en Suisse étaient ainsi de zéro et il n'avait pas de donneur vivant possible dans sa famille », détaille le Pr Clavien.
Quant à la donneuse, elle présentait une tumeur semi-maligne desmoïde rétropéritonéale ainsi qu'une tumeur dans l'un des segments du foie. « Il nous fallait d'abord vérifier si cette tumeur-ci était maligne ou bénigne, poursuit le chirurgien. La patiente souffrait aussi de divers abcès et des bactéries étaient présentes dans son sang, ce qui fait qu'aucun centre n'aurait pris ce foie d'emblée en raison du risque de septicémie et d'infection lors de la transplantation. » Après 24 heures, le pathologiste a pu confirmer que la tumeur était bénigne, et le greffon a été traité par des antibiotiques à très hautes doses au sein de la machine. Une fois l'infection soignée et tous les paramètres au vert, le greffon a pu être transplanté quatre jours après son prélèvement.
Une faible immunosuppression
Phénomène intéressant, « le greffon a pris tout de suite, avec une élévation des enzymes hépatiques telle qu'on peut l'observer avec des greffons issus de donneurs vivants, mais jamais avec des greffons dits marginaux », raconte le Pr Clavien. Et le patient n'a besoin que d'un faible niveau d'immunosuppression.
« Pour des raisons que l'on ne comprend pas encore très bien, il semble que les foies que l'on perfuse sont moins immunogéniques que les autres et sont associés à un moindre risque de rejet, rapporte le médecin. Une des explications est que le foie est perfusé avec du sang privé de leucocytes et que, très probablement, cela minimise les diverses réactions immunologiques. » Cette observation est toutefois à confirmer avec une plus grande série de cas.
L'équipe suisse dispose d'une autorisation compassionnelle pour deux à trois patients, octroyée par les autorités sanitaires du pays. Mais l'objectif est surtout de lancer une étude internationale de phase 2 qui permettra d'évaluer la sécurité du dispositif. « Dans ce cadre, nous allons utiliser des foies endommagés mais pas au point d'être refusés par les centres », précise le chirurgien, ajoutant que des démarches sont par ailleurs en cours pour faire homologuer la machine auprès de la Food and Drug Administration (FDA).
Vers l'autotransplantation
Cette nouvelle machine de perfusion présente plusieurs intérêts. Elle pourrait déjà permettre d'augmenter le pool de greffons disponibles. Et alors qu'aujourd'hui, un greffon doit être transplanté en urgence dans les dix heures suivant son prélèvement, le fait de pouvoir le maintenir pendant plusieurs jours ouvre la possibilité de faire de la greffe, jusque-là souvent réalisée de nuit, une chirurgie élective.
« Pouvoir programmer l'intervention permet une chirurgie de meilleure qualité, de moindre coût, au bénéfice de l'équipe médicale et des patients », estime le Pr Clavien, précisant que la machine est aujourd'hui réservée aux greffons à risque mais qu'elle pourrait à terme bénéficier à tous les greffons.
La machine de perfusion ouvre ainsi de nombreuses perspectives, comme la possibilité de greffer deux patients à partir d'un même greffon réhabilité ou encore l'autotransplantation. « On peut imaginer un patient qui a un cancer du foie non résécable, à qui l'on prélève une partie saine du foie que l'on place dans la machine pour régénération, que l'on greffe ensuite, après avoir retiré la partie malade. Aucune immunosuppression n’est alors nécessaire, explicite le chirurgien. Ce sera possible c’est sûr, la question est de savoir quand. »
(1) P.-A. Clavien et al, Nat Biotechnol, 2022. doi: 10.1038/s41587-022-01354-7
(2) D. Eshmuminov et al, Nat Biotechnol, 2020. doi/10.1038/s41587-019-0374-x
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