Les recommandations KDIGO relatives à la néphropathie à IgA préconisent l’utilisation de la corticothérapie chez les patients présentant une protéinurie persistante supérieure à 1 g/j et une fonction rénale préservée (DFGe > 50 ml/min) malgré 3 à 6 mois de traitement néphroprotecteur par bloqueur du système rénine-angiotensine. L’utilisation d’agents immunosuppresseurs (en particulier le cyclophosphamide) en association à la corticothérapie peut être considérée dans les formes sévères de glomérulonéphrite rapidement progressive (formes avec prolifération extra-capillaire et déclin rapide de la fonction rénale).
Ces recommandations reposent sur plusieurs études dont les 2 principales sont celles de Pozzi et al. (1) et de Ballardie et al. (2). Ces études sont toutefois contestables sur le plan méthodologique (utilisation non systématique des agents bloqueurs du système rénine-angiotensine, contrôle aléatoire de l’hypertension artérielle) et ne permettent pas de considérer les recommandations actuelles comme relevant d’un niveau de preuve très élevé. Au final, l’intérêt des immunosuppresseurs dans la néphropathie à IgA, y compris celui de la corticothérapie, reste controversé. Dans ce contexte, les résultats de l’étude STOP-IgAN qui viennent d’être publiés (3) étaient particulièrement attendus.
Une conclusion discutable
3STOP Ig-AN est un essai clinique contrôlé, randomisé, en ouvert et multicentrique, réalisé en Allemagne sur 3 ans, chez des patients porteurs de néphropathie à IgA primitive et présentant une protéinurie supérieure à 0,75 g/jour. L’étude se déroulait en 2 phases : une première phase de prérandomisation d’une durée de 6 mois, durant laquelle un traitement conservateur strictement encadré était mis en place et adapté en fonction de différents objectifs parmi lesquels l’obtention d’une pression artérielle < 125/75 mm Hg. Après cette 1re phase de traitement néphroprotecteur optimisé, les patients avec protéinurie persistante supérieure 0,75 g/jour ont été randomisés pour poursuivre le traitement conservateur ou recevoir en plus, un traitement immunosuppresseur pour une durée de 6 mois selon 2 modalités en fonction du DFG (corticoïdes en cas de DFG≥60 ml/min/1,73 m2 ou cyclophosphamide en cas de DFG compris entre 30 et 59 ml/min/1,73 m2).
Les résultats principaux de l’étude STOP-IgAN sont :
• un bénéfice significatif du traitement immunosuppresseur sur la rémission clinique complète avec 3 fois plus de patients ayant un ratio protéine sur créatinine urinaire inférieure à 0,2 g/g ;
• l’absence de bénéfice sur les patients « progresseurs rapides » (définis par une perte annuelle de DFG supérieure à 5 ml/min/1,73 m2) ;
• une tendance (bien que non significative) vers davantage d’effets secondaires (notamment d’infections sévères) observée chez les patients traités par immunosuppresseur.
Les auteurs concluent que l’adjonction d’un traitement immunosuppresseur n’est pas bénéfique aux patients porteurs de néphropathie à IgA et recevant un traitement conservateur optimisé.
Une conclusion discutable
Tout d’abord sur le plan strictement méthodologique, l’hypothèse à partir de laquelle la taille de l’effectif a été calculée est celle d’une supériorité du traitement immunosuppresseur pour obtenir une rémission complète de la néphropathie. Cette hypothèse est, au terme de l’étude, vérifiée. Stricto sensu, l’essai STOP-IgAN n’a pas été construit pour tester l’hypothèse d’une moindre progression de la maladie rénale chronique sous traitement immunosuppresseur. L’absence d’effet observé sur ce critère devrait être analysé avec prudence car il peut résulter d’une puissance statistique insuffisante. Il est possible qu’avec un effectif plus important et/ou un suivi plus long, un rôle protecteur du traitement immunosuppresseur sur le déclin du DFG soit mis en évidence (cette possibilité est, du reste, parfaitement vraisemblable si on admet que la protéinurie est un déterminant majeur de progression de la maladie rénale chronique). Dans le même ordre d’idée, le contrôle très strict de la pression artérielle obtenu chez les patients (ce qui, bien évidemment, est à mettre au crédit des investigateurs) a possiblement eu un effet bénéfique en termes de progression de la maladie rénale chronique avec comme conséquence la nécessité d’une période d’observation plus longue pour observer un déclin du DFG de même amplitude que celui qui serait observé en cas de contrôle imparfait de la pression artérielle.
La répartition des patients du groupe immunosuppresseur entre un sous-groupe corticoïde et cyclophosphamide semble procéder du postulat que ces deux traitements immunosuppresseurs ont le même effet (ou absence d’effet). L’hypothèse que les corticostéroïdes soient bénéfiques et que le cyclophosphamide ne le soit pas (ou inversement) ne peut pas être directement explorée dans STOP-IgAN (L’analyse séparée des sous-groupes est en cours de publication mais sera critiquée là encore pour son manque de puissance statistique). En d’autres termes, la conclusion des auteurs devrait être qu’une stratégie basée sur des traitements immunosuppresseurs différents en fonction du niveau du DFG n’est pas bénéfique. Ceci ne devrait pas être interprété comme l’inefficacité d’un des traitements immunosuppresseurs pris séparément. Ce point est particulièrement important en ce qui concerne les corticoïdes pour lesquels des études récentes semblent confirmer leur intérêt dans la néphropathie à IgA, que ce soit les dernières données de la cohorte VALIGA (4) ou l’essai européen NEFIGAN qui démontre le bénéfice du BUDESOMIDE sur l’évolution de la néphropathie à IgA (publication en cours).
STOP-IgAN ne devrait pas mettre un point final à la controverse sur l’intérêt d’une stratégie immunosuppressive dans la néphropathie à IgA. Il n’en reste pas moins que cette étude fera date et restera une référence vis-à-vis de laquelle les études à venir seront discutées. À cet égard, les résultats de l’essai TESTING qui évalue, en double aveugle, l’intérêt des corticoïdes sur la progression de la néphropathie à IgA sont attendus avec assurément autant d’impatience que l’ont été ceux de STOP-IgAN.
Service de néphrologie, CHU de Saint-Étienne, Groupe sur l’immunité des muqueuses et agents pathogènes (GIMAP). Université Jean Monnet
(1) Pozzi et al. J Am Soc Nephrol 2004 ;15:57
(2) Ballardie et al. J Am Soc Nephrol 2002 ;13:142
(3) Rauen T et al. N Engl J Med. 2015 ;373(23):2225-36
(4)Tesar V et al. J Am Soc Nephrol. 2015;26:2248
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