Son nom était associé à un grand nombre de premières médicales dans le domaine de la transplantation, le Pr Jean-Michel Dubernard est décédé ce samedi 10 juillet, à l'âge de 80 ans, à la suite d'un malaise cardiaque à l'aéroport d'Istanbul. Né le 17 mai 1941, il a fait toute sa carrière dans sa ville natale de Lyon où il a occupé le poste de chef du service d'urologie et de transplantation à l'hôpital Édouard-Herriot de 1987 à 2002.
« C'était un homme transgressif qui a toujours voulu aller au-delà de ce qu'il était possible de faire, se souvient le Pr Lionel Badet qui a succédé au Pr Dubernard à la tête du service. C'est grâce à des gens comme lui qu'on a pu passer de greffes qui sauvaient la vie, comme les greffes de cœur, à des greffes qui prolongent la vie, comme les greffes de pancréas, et à des greffes qui améliorent la qualité de vie, comme les greffes de mains. »
Disciple d'un prix Nobel
Il s'est formé en France mais aussi à la Harvard Medical School de Boston auprès du chirurgien américain Joseph Murray, prix Nobel de médecine en 1990. « Boston était un point central de la transplantation, c'est là qu'a eu lieu la première greffe de pancréas entre des jumeaux », explique le Dr Xavier Martin, chirurgien urologue à Lyon, qui a passé toute sa carrière au côté du Pr Dubernard. Les premières greffes de pancréas, réalisées à Minneapolis, remontent à 1972. « À l’époque, nous n'avions que les corticoïdes à donner aux malades qui faisaient des fistules digestives, poursuit le Dr Martin. Les sutures ne tenaient pas car elles se faisaient corroder par la bile pancréatique. »
La bile est produite par le tissu exocrine, qui représente 98 % du pancréas, alors que les transplanteurs ne sont intéressés que par les 2 % de tissu endocrine, les îlots de Langerhans. L'idée du Pr Dubernard : ne prendre que la queue du pancréas, cathétériser le canal pancréatique et utiliser une colle néoprène pour asphyxier le tissu exocrine et ne conserver que les 2 % de tissu endocrine d'intérêt et une matrice vasculaire. « Il a sauvé l'activité de greffe du pancréas à un moment où elle risquait de disparaître », se souvient le Pr Badet.
La technique est utilisée une première fois à Lyon en 1976. « C'était une époque en or, ou l'on pouvait faire beaucoup de chirurgie expérimentale, se souvient le Dr Martin."Max" - un surnom acquis sur les terrains de rugby - a été au centre de ce bouillonnement intellectuel. » À partir de 1982, l'arrivée de nouveaux immunosuppresseurs, et notamment la ciclosporine, permet la transplantation de pancréas entiers.
Le Pr Dubernard a ensuite acquis une réputation mondiale pour la première allogreffe d'une main en 1998, réalisée chez un Néo-Zélandais du nom de Clint Hallam. « Il a imaginé qu'il était possible d'utiliser la transplantation pour pallier un handicap majeur chez un patient confronté à une mort sociale », explique le Pr Badet. Les bases microchirurgicales nécessaires à une telle opération étaient posées depuis les années 1970, mais l'apport décisif du Pr Dubernard a été d'être le chef d'orchestre d'une équipe pluridisciplinaire de chirurgiens. « Une greffe de main, c'est 30 à 40 personnes qui se relaient dans un bloc opératoire pendant 40 heures, c'est une prouesse logistique, surtout dans les années 1990 », précise le Dr Martin.
Le projet se heurte à trois inconnues : la peur du rejet lié au fait que la peau est très immunogène, la crainte de nombreux neurologues que la réorganisation des aires cérébrales consécutive à la perte d'un membre soit irreversible (et donc que le patient ne soit pas capable de contrôler le greffon), et enfin la possibilité de la non-acceptation d'une nouvelle main par le patient. « La suite a montré que la peau n'était pas si immunogène si on la greffait comme un organe entier, et que l'homoncule moteur était capable de se réadapter, mais cela suppose une éducation du patient avant même l'opération », insiste le Dr Martin.
L'essentielle motivation du patient
Sur le dernier point, la première greffe allogénique de main fut moins heureuse : Clint Hallam demandant par la suite l'amputation de sa nouvelle main. « La leçon que nous avons tirée de cet échec est qu'il fallait mieux analyser le patient et ses motivations à suivre une rééducation de plusieurs années, résume le Dr Martin. C'est ce qui a conduit le comité d'éthique à n'accepter ensuite que des greffes pour les patients ayant les deux mains coupées. »
En 2000, le Pr Dubernard réalise la première greffe bilatérale des mains et des avant-bras sur le Français Denis Chatelier. Celle-ci fut un succès complet : « 20 ans après, il est capable d'enfiler un fil dans une aiguille », se réjouit le Dr Martin.
Enfin, en 2005, le Pr Dubernard participe à la première greffe partielle de visage dirigée par le Pr Bernard Devauchelle sur la Française Isabelle Dinoire, défigurée par son chien. « Le Pr Devauchelle est un fantastique technicien, mais il avait besoin de l'expérience de l'équipe de Lyon pour ce qui relève du risque immunologique », raconte le Dr Martin. « La greffe de visage soulevait un tabou psychologique encore plus grand que la greffe de main », rappelle pour sa part le Pr Badet.
Renommée internationale
Le Pr Dubernard a mis Lyon au centre de la carte mondiale de la transplantation. Sur les 74 greffes bilatérales de mains faites dans le monde à ce jour, 10 ont été faites dans la capitale des Gaules. Il a également participé à la création de l'association internationale de transplantation de pancréas et d'îlots (IPITA) qui a tenu son premier congrès à Lyon.
Pour le Pr Badet, ce pionnier laissera le souvenir d'un « bâtisseur et un formidable leader qui ne considérait jamais rien comme figé ». « Max » était « aussi fidèle en amitié, fort en gueule contre l'administration de l'hôpital », se souvient, ému, le Dr Martin.
Mis à jour le 13/07/2021
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