Regarder les paramètres HLA du donneur, plutôt que la compatibilité entre donneur et receveur, dans le cadre d'une transplantation de foie, tel est le changement de paradigme auquel invite une étude de cohorte rétrospective publiée le 23 août dans la revue « Annals of Internal Medicine ». Ce travail coordonné par le Pr Cyrille Feray (centre hépato-biliaire de l’hôpital Paul-Brousse, AP-HP) a été mené en collaboration avec le laboratoire d’histocompatibilité de l’hôpital Saint-Louis.
« L'idée d'une compatibilité entre donneur et receveur basée sur le HLA (Human Leukocyte Antigen) est bien connue. Or, dans la transplantation du foie, nous ne tenons pas compte du HLA. L'originalité de notre étude consiste à démontrer que ce biomarqueur pourrait avoir un intérêt, mais indépendamment du receveur : le HLA seul du donneur, quel que soit celui du receveur, va prévoir l'immunogénicité de l'organe transplanté », explique au « Quotidien » le Pr Feray. « On fait du neuf à partir du bon vieux HLA », résume-t-il ; le HLA étant chez l'humain, l'autre nom du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH).
Rejet moins fréquent quand le HED du donneur est pauvre
L’étude a porté sur une cohorte de 1 154 adultes et 113 enfants ayant reçu une greffe du foie entre 2004 et 2018, à l'hôpital Paul-Brousse pour les premiers, à l'hôpital Necker pour les seconds. Des biopsies du foie permettant d'évaluer l’état de l’organe ont été réalisées un, deux, cinq et dix ans après la transplantation et en cas de dysfonctionnement hépatique.
Dans les deux populations, a été calculé le HED (pour HLA Evolutionary Divergence) des donneurs et receveurs. Ce paramètre, en quantifiant les différences peptidiques entre deux allèles HLA, reflète la richesse de l'immunopeptidome et donne un indice de la complexité du CMH. Le Pr Feray souligne la simplicité de la manœuvre : « Grâce au génotypage, on a le HLA en 15 minutes, il suffit d'avoir les deux allèles, puis l'on calcule l'indice de richesse du HLA, le HED, qui est une valeur numérique allant de 0 à 12 ».
Résultat : chez les adultes comme chez les enfants, seul le HED des CMH de classe 1 des donneurs a pu être associé à l’occurrence ou non d’un rejet aigu ou chronique de la greffe (mais pas à d’autres lésions histologiques). Plus précisément, chaque point de HED de classe 1 expose le receveur à un risque de rejet aigu de greffe majoré de 9 %, à un risque de rejet chronique plus élevé de 20 %, et à un risque de ductopénie supérieur ou égal à 50 % augmenté de 33 %. Chez les enfants, le risque majoré de rejet aigu avec un donneur au HED de classe 1 est augmenté de 16 %.
Dans les deux populations, le HED du donneur était indépendant de la compatibilité HLA et bien plus prédictif que cette dernière… Et même plus que tous les autres facteurs, comme l'âge du donneur, celui du greffon, l'infection par l'hépatite B, la cotransplantation ou encore l'existence d'une maladie auto-immune.
« Statistiquement, le rejet sera moins fréquent quand le HED est pauvre que quand les deux allèles de classe 1 sont très divergents », explicite le Pr Feray.
Des applications avant et après transplantation
La prise en compte du HED du donneur pourrait permettre d'optimiser le choix du greffon, « quand on peut refuser un greffon car on sait qu'on aura une autre proposition la semaine suivante », souligne le Pr Feray. Ce qui peut être pertinent en particulier pour une personne jeune, ou avec une maladie auto-immune, avec un fort risque de rejet. « On aurait intérêt alors à attendre un bon greffon, avec un HED bas », précise-t-il.
Après greffe, ce marqueur pourrait servir à ajuster des stratégies de sevrage de l'immunosuppression, sachant que 10 à 20 % des patients pourraient arrêter leur traitement immunosuppresseur quelques années après la transplantation de foie.
Reste à confirmer ces résultats et à évaluer l'intérêt de ce biomarqueur dans les transplantations de rein, cœur et poumons, pour lesquelles l'immunosuppression est très forte et/ou les anticorps anti-HLA (rejets humoraux) sont très importants. « Nous discutons avec l'Agence de la biomédecine pour voir à quel point nous pouvons explorer ce paramètre et en tenir compte dans l'attribution des greffons », conclut le Pr Feray.
C. Feray et al, Annals of internal Medicine, 24 août 2021. doi.org/10.7326/M20-7957
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