La prouesse est autant médicale qu’immunologique. En quelques mois, plusieurs expériences de xénotransplantation ont été menées avec succès aux États-Unis, sans rejet humoral hyperaigu. Deux greffes de rein de porc ont été réalisées chez des patients en état de mort encéphalique à l’hôpital de NYU Langone à New York en septembre, puis à l’université d’Alabama à Birmingham (UAB) en novembre, avec des résultats publiés en janvier. Et surtout, un cœur de porc a été transplanté en janvier à l'université du Maryland (UMMC), à Baltimore, chez un patient de 57 ans souffrant d’insuffisance cardiaque terminale et inéligible à une greffe classique.
Ces annonces, qui lèvent « implicitement le moratoire international sur les greffes inter-
espèces décrété en 1999 (…) en raison du risque de transmission à l’espèce humaine de rétrovirus endogènes », étaient « attendues », explique le Pr Pascal Vouhé, chirurgien cardiaque pédiatrique et membre de l’Académie de médecine. Car les xénotransplantations sont une piste privilégiée pour faire face à la pénurie d'organes et ces expériences s’inscrivent « dans la continuité » des tentatives menées dans la deuxième partie du XXe siècle.
En 1984 notamment, à Loma Linda en Californie, un cœur de babouin était greffé chez un nouveau-né, la petite « Baby Fae ». « Les pressions et menaces de mort de la part de défenseurs des primates ont mis fin à ces travaux par crainte d’un rejet par la société, explique le Pr Vouhé. L’idée de se tourner vers un animal socialement plus acceptable, le porc en l’occurrence, a ensuite progressé. »
Première utilisation chez un humain d’un porc à 10 mutations
Plusieurs avancées ont encore été nécessaires : les progrès dans l’édition génomique et les technologies à haut débit (Crispr-Cas9 notamment) ayant permis la production de porcs aux multiples modifications génétiques, la mise au point de nouvelles approches immunosuppressives, la prévention des infections transmissibles, mais aussi les « survies prolongées obtenues après xénogreffe de cœur de porc chez le babouin et, récemment, la survie d’un rein de porc implanté durant quelques jours au pli du coude d’une femme en état de mort cérébrale », détaille l’Académie de médecine dans un communiqué.
Marquant une nouvelle étape, les récentes expériences américaines se sont appuyées sur un modèle de porc génétiquement modifié, développé par l'entreprise Revivicor (filiale de la compagnie United Therapeutics) et baptisé GalSafe. Trois gènes responsables du rejet rapide ont été mis « KO » (knocking-out, invalidés) chez ce porc donneur, et notamment un antigène sucré, connu sous le nom d’alpha-gal, « présent à la surface des cellules porcines et qui entraîne une réponse violente et quasiment immédiate de rejet hyper-aigu du greffon », indique le Pr Gilles Blancho, néphrologue au CHU de Nantes et directeur de l’Institut de transplantation-urologie-néphrologie (ITUN).
Un autre gène a été éliminé pour empêcher une croissance excessive du tissu cardiaque du porc. Et six gènes humains responsables de l'acceptation immunitaire du cœur de porc ont été insérés (« knocking-in ») dans le génome de l’animal donneur. « Ces modifications génétiques permettent, entre autres, de mieux contrôler la forte réponse allo-immune dirigée contre la xénogreffe », souligne le Pr Alexandre Loupy, néphrologue à l’hôpital Necker-Enfants malades et directeur du Paris Transplant Group.
« Les modèles précliniques ont montré la faisabilité de l’approche : de la logistique de préparation des organes de porc jusqu’à l’acte chirurgical en passant par les problématiques immunologiques. Ils ont permis d’écarter certains problèmes sanitaires particuliers, comme le risque infectieux, en particulier viral », salue-t-il.
Des communications encore parcellaires
Le recours à des patients en état de mort encéphalique pour les deux xénogreffes de rein constitue « une étape intermédiaire importante », selon lui, en confirmant les résultats obtenus sur les primates non humains, mais surtout en permettant « d’observer certains paramètres macroscopiques, par exemple des lésions d’ischémie-reperfusion ou des signes de nécrose typiques d’un rejet humoral hyperaigu, et de monitorer les constantes clinico-biologiques ».
De nombreuses incertitudes demeurent néanmoins quant à la réponse immunitaire et inflammatoire, à la survenue d’épisodes de rejet (cellulaire ou humoral) à court, moyen et long termes et quant aux constantes clinico-biologiques des greffons. D’autant que sur les trois expériences récentes, seule celle de l’équipe de l’UAB a fait l’objet d’une publication, dans the « American Journal of Transplantation.
« Cela pose un certain nombre de problèmes pour apprécier et comparer correctement ces expériences, car nous manquons, de fait, d’informations sur la méthodologie et l’approche clinique. De manière similaire, les détails de l’expérience de l’UMMC au sujet du cœur xénotransplanté sur un patient en insuffisance cardiaque terminale sont trop parcellaires pour en tirer des conclusions précises, mais le patient est en vie jusqu’à présent », relève le Pr Loupy.
Les données disponibles manquent pour comprendre les divergences observées entre les deux expériences de xénotransplantation rénale réalisées chez les receveurs en état de mort encéphalique. « Il a été observé une reprise de la diurèse et de la fonction rénale reflétée par la diminution de la créatininémie dans le cadre de la première expérience effectuée à l’université de New York par le Pr Montgomery, tandis qu’une simple reprise de la diurèse sans reprise de la fonction rénale a été décrite par l’équipe de l’université d’Alabama du Pr Locke », poursuit-il, notant l’absence de néphrectomie bilatérale préalablement à la transplantation chez le receveur du NYU, tandis qu’elle a été réalisée chez le receveur de l’UAB.
Vers une « accélération des essais »
Les résultats préliminaires de ces premières expériences n’en restent pas moins « exceptionnels », selon le Pr Loupy, et devraient donner lieu à une « accélération des essais », ajoute le Pr Vouhé. L’enjeu sera notamment de répondre aux questions toujours en suspens de la survenue d’un rejet plus tardif. Pour limiter ce risque, « les traitements immunosuppresseurs sont plus lourds que ce qu’on administre habituellement pour les transplantés (comme la ciclosporine), avec notamment des anticorps monoclonaux », indique le membre de l’Académie.
Dans le cas du patient transplanté avec un cœur de porc génétiquement modifié, un anticorps monoclonal (IgG4) expérimental, le KPL-404 de l'entreprise Kiniksa Pharmaceuticals (voir page 13), a été utilisé, en plus des traitements immunosuppresseurs classiques.
De nombreuses investigations restent à mener avant d’envisager des xénotransplantations à grande échelle. « Comme cela est fait depuis des décennies en transplantation humaine, on peut, par exemple, aisément penser qu’il sera nécessaire de développer des classifications du rejet spécifiques à la xénotransplantation »,
anticipe le néphrologue.
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