Une étude française parue dans « The Lancet Rheumatology » apporte de nouveaux éléments concernant l'effet de l'anakinra sur la survenue de l'orage cytokinique, complication immunitaire pouvant entraîner le décès chez les patients Covid-19.
L'interleukine-1 est un élément clé de l'hyperinflammation, et l'anakinra est un récepteur agoniste recombinant des récepteurs de l'IL-1. Une petite étude observationnelle italienne avait donné des résultats préliminaires mais prometteurs concernant l'utilisation chez 29 patients atteints de Covid-19 de ce médicament normalement indiqué dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, l'arthrite juvénile idiopathique, la maladie de Still de l'adulte et le syndrome périodique associé à la cryopyrine.
De nouveaux résultats publiés à quelques jours d'intervalle par les pneumologues et rhumatologues du groupe hospitalier (GH) Paris Saint-Joseph (portant sur des patients atteints de Covid-19) d'une part et par les chercheurs du collège universitaire de Londres (portant sur des patients ayant un syndrome de suractivation des macrophages causé par des rhumatismes ou par une infection) d'autre part semblent confirmer ces résultats.
Un traitement désormais courant à Saint-Joseph
L'étude Ana-COVID, menée à Saint-Joseph, est une étude rétrospective menée sur 96 patients. Les données des 52 patients traités par anakinra ont été comparées à celles de 44 patients, membres d'une cohorte « historique » et hospitalisés avant introduction de l'anakinra dans la prise en charge. Il ne s'agit donc pas d'une étude randomisée. Les auteurs justifient leur choix par le mauvais pronostic des patients : ils ont pris la décision de prescrire hors AMM l'anakinra à l’ensemble des patients admis à Saint-Joseph présentant une hyperinfammation.
Joint par « Le Quotidien », le Dr Gilles Hayem, chef du service de rhumatologie du GH Paris Saint-Joseph qui a dirigé l'étude ajoute que « face au caractère déferlant de cette épidémie, nous avons en effet pris quelques jours à nous décider à recourir à l'anakinra, notamment après avoir analysé en détail la littérature sur les infections à coronavirus, ainsi que celle sur l'utilité de bloquer l'IL-1 dans divers états hyperinflammatoires proches de celui observé dans la phase 2 de la maladie Covid-19 ».
Si une deuxième vague épidémique survenait, l'équipe du Dr Hayem ne serait pas opposée à une étude randomisée, « mais alors pas versus placebo, insiste le Dr Hayem. Je verrais davantage une étude comparant par exemple l'Anakinra et une autre biothérapie anti-cytokine comme un anti-IL6, voire une corticothérapie à fortes doses. D'une manière plus générale, le concept d'un bras placebo pose une question éthique, dans le cas de maladies rapidement évolutives et potentiellement mortelles. »
Atteintes pulmonaires et hyperinflammation
Dans le groupe anakinra, 13 patients (un quart du groupe) ont été admis en soin intensif contre 32 patients (soit 73 %) du groupe contrôle. En analyse multivariée, l'anakinra diminuait de 78 % le risque d'admission en soins intensifs. Du point de vue des effets secondaires, une dégradation des marqueurs hépatiques était observée chez 13 % des patients sous anakinra contre 9 % des patients non traités. Cette différence n'était pas statistiquement significative.
« Les patients de l'étude, qu'ils fassent partie du groupe traité ou du groupe contrôle, ne sont pas représentatifs de l'ensemble des patients souffrant de Covid-19, indiquent les chercheurs, mais ils appartiennent à un sous-groupe de patients ayant une fonction pulmonaire altérée et une hyperinflammation », les plus susceptibles de bénéficier de ce traitement.
Voie sous-cutanée versus intraveineuse
Si les travaux britanniques ne portent pas sur des patients atteints de Covid-19, leurs travaux présentent une particularité notable : l'utilisation d'une forme intraveineuse. Dans ses indications habituelles, la dose recommandée est de 100 mg par jour, inférieure à celle nécessaire au traitement d'un épisode aigu comme un orage cytokinique.
« La voie sous-cutanée est problématique, expliquent les chercheurs britanniques, car l'absorption n'est pas constante chez les patients admis en soins intensifs et plusieurs injections sont nécessaires pour atteindre une dose suffisante. C'est pourquoi une formulation intraveineuse a été développée spécifiquement pour être utilisable dans cette indication. » Les travaux anglais ne portent pas sur l'efficacité de cette approche déjà expérimentée dans la première étude italienne, mais démontrent la faisabilité de l'utilisation d'une formulation intraveineuse.
Interrogé sur la pertinence de l'administration intraveineuse, le Dr Hayem estime qu'il est encore « difficile de répondre avec certitude, mais force est de constater que le choix que nous avons fait, en termes de dose et de mode d'administration (en sous-cutané), ne devait pas être mauvais. Nous avons en effet abouti à des résultats très superposables à ceux de nos collègues italiens, qui ont pourtant administré l'anakinra à des doses plus fortes et en intraveineux. »
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