LE QUOTIDIEN : Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux conséquences à long terme des traitements par anticorps monoclonaux ?
Dr ANTOINE NKUBA NDAYE : Sur le plan théorique, nous savons que l'immunisation passive par un anticorps monoclonal peut interférer avec la production endogène d’anticorps. Nous avons des exemples avec le VRS ou avec le Covid : des personnes ayant reçu des anticorps monoclonaux présentaient des taux d’anticorps très faibles par rapport à ceux qui ont guéri naturellement.
Depuis l’identification du virus Ebola en 1976 et jusqu'en 2014, la plupart des épidémies concernaient une population restreinte dans des villages éloignés des grands centres urbains, avec 90 % de mortalité. Mais les choses ont changé avec l’épidémie de 2014-1016 en Afrique de l’Ouest. Il y a eu beaucoup plus de cas, dans des villes très peuplées et avec un grand nombre de survivants.
Les anticorps monoclonaux, utilisés de façon discrète en Guinée et au Sierra Leone entre 2014 et 2016, ont été pour la première fois largement employés entre 2018 et 2020 lors de l'épidémie en République démocratique du Congo qui a également touché des grandes villes comme Goma, Beni ou Butembo. Sur les 1 200 survivants, pour plus de 3 000 décès, une partie significative a reçu de l’ansuvimab, le cocktail d’anticorps REGN-EB3, du ZMapp ou du remdesivir dans le cadre d’un protocole d’urgence.
Quand l'épidémie a officiellement pris fin en juin 2020, de nombreuses personnes guéries avaient été traitées avec ces nouvelles molécules mais n’étaient connus ni l’impact sur la production endogène d'anticorps anti-Ebola, ni la persistance virale, ni le risque de réinfection. Pour en savoir plus, nous avons conduit une étude observationnelle et prospective qui avait pour objectif d'évaluer l'impact du traitement sur les taux d'anticorps. Nous avons inclus les patients guéris et ils ont été suivis pendant 36 mois avec des prélèvements réguliers. Une méthode semi-quantitative a permis d’estimer le pourcentage de patients qui sont effectivement immunisés contre Ebola.
Quels sont les résultats de votre étude ?
De manière générale, les anticorps monoclonaux diminuent la séropositivité et donc le niveau de protection à long terme. C’est tout particulièrement le cas de l’ansuvimab pour lequel il y a une forte association avec une chute rapide de la séropositivité. Cette immunité moindre pourrait s'accompagner d’un risque plus élevé de réinfection ou de réactivation du virus qui a trouvé refuge dans un site immunologiquement privilégié.
Cela remet-il en question leur utilisation ?
Non, bien sûr car les données d’augmentation de la survie sont très solides et le rapport bénéfice/risque reste très favorable, même en prenant en compte le risque de rechute. Nous pensons néanmoins que nos résultats justifient quelques recommandations. La première est que, notre étude étant observationnelle, il faut mener des recherches supplémentaires sur l'impact des anticorps monoclonaux sur la séropositivité. Ensuite, il est important d’intensifier le suivi des personnes guéries. Ce suivi doit être systématique et coordonné, avec recherche de l’état d’immunisation et de séquelles.
Nous pensons que les personnes qui n'ont pas une bonne immunité, si elles sont porteuses du virus dans les régions immunologiquement protégées, peuvent faire une rechute. En 2021 le virus responsable de la nouvelle épidémie d’Ebola en Guinée était très proche de celui de 2014, avec très peu de mutations pour un virus à ARN. Il est probable que le premier patient de cette épidémie fut un survivant de 2015, dont le virus s’est réactivé.
Ne serait-il pas possible d’utiliser l’un des vaccins disponibles pour renforcer l’immunité des survivants traités ?
C’est une piste que nous recommandons d’explorer. Une équipe de partenaires belges nous a contactés à l'Institut de recherche pour le développement afin d’évaluer l’intérêt de revacciner des personnes soit qui l’ont déjà été lors de l’épidémie, soit guéries. Il s’agit du projet Eboboost qui va commencer très prochainement.
Des programmes existent-ils déjà pour le suivi ?
Notre cohorte « Les vainqueurs d'Ebola » nous a permis de suivre les survivants pendant trois ans, mais ce projet a désormais pris fin. Il existe en République démocratique du Congo un programme national de suivi des survivants Ebola, mais il n'est pas autonome et dépend du financement de partenaires. Il faudrait un suivi psychologique, mesurer la persistance du virus dans le sperme, mesurer l’immunité… C’est tout un chantier à mettre en place.
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