LE QUOTIDIEN : Que peut-on dire du lien entre AVC ischémique et infection à SARS-CoV-2 ? La revue « The New England Journal of Medicine » (1) a rapporté une petite série de cas d'AVC des gros troncs chez des sujets jeunes à New York. Cela a-t-il été constaté en France ?
Dr BERTRAND LAPERGUE : L'infection à SARS-CoV-2 ne donne pas beaucoup plus d'AVC et le message anxiogène selon lequel les sujets jeunes sont exposés à un surrisque n'est pas le reflet de la réalité. Ce n'est pas l'expérience des équipes françaises, comme le révèle le registre national académique ETIS qui collige les données des AVC traités par thrombectomie.
Quant à la série newyorkaise, si l'on regarde de plus près, sur les cinq cas rapportés, trois présentaient des antécédents, et notamment d'AVC. Il y a malheureusement des patients jeunes qui font des AVC, mais le SARS-CoV-2 n'est pas une cause fréquente d'AVC chez des sujets naïfs de toute histoire médicale.
En revanche, les patients ayant des comorbidités à type d'HTA, de surpoids, de diabète ou d'athérosclérose sont davantage à risque. Ce sont des sujets âgés en moyenne de 40 à 70 ans, chez lesquels l'infection Covid va entraîner une décompensation de la plaque athéromateuse.
Que sait-on de la fréquence de cette complication ? Quel est le mécanisme physiopathologique ?
Pour les chiffres, les données ne sont pas encore consolidées au niveau national. Mais en Île-de-France, on a dénombré une soixantaine d'AVC liés à l'infection Covid hors contexte de réanimation. C'est important de mettre à part ces cas particuliers car il y a beaucoup d'autres raisons pour expliquer la survenue d'AVC en soins intensifs, des traitements administrés aux complications de type CIVD.
La présentation des AVC liés au Covid ne diffère pas. Ce qui permet de relier l'AVC à l'infection, c'est la causalité temporelle. De plus, il est connu qu'une infection peut décompenser des patients ayant un terrain athéromateux stable.
Une infection virale peut en effet fragiliser la plaque athéromateuse via l'inflammation systémique. Si la paroi est fragilisée par l'agression inflammatoire, une thrombose peut survenir plus facilement. Il ne semble pas y avoir d'atteinte virale directe : à l'analyse anatomopathologique, les caillots extraits d'AVC ne contenaient pas de virus.
Des embolies pulmonaires ont également été rapportées au cours de l'infection Covid, de même que des infarctus du myocarde (IDM). Ces phénomènes thrombotiques relèvent-ils du même mécanisme que les AVC ?
Les mécanismes mis en jeu au cours de l'infection à SARS-CoV-2 n'ont rien à voir entre les EP et les AVC. Dans la thrombose pulmonaire, il est maintenant établi que le tissu pulmonaire est très malade et très infecté : il existe une atteinte vasculaire pulmonaire. Dans le cerveau, il n'y a pas d'atteinte directe, ou à la marge, le tropisme viral n'est pas le même.
Dans les IDM, la tendance observée en Île-de-France, comme en Italie ou aux États-Unis, est une diminution des cas d’IDM hospitalisés au cœur de l’épidémie. Néanmoins, on ne peut exclure des cas qui n’ont pas pu accéder à l’hôpital, sans prise en charge médicale.
Que peut-on dire de la sévérité et des séquelles secondaires aux AVC associés au Covid ?
Les AVC associés au Covid évoluent moins bien. L'infection pulmonaire est souvent au second plan et les résultats de désobstruction sont moins bons. Fait rarissime en temps normal, le risque de rethrombose est plus élevé. Nous avons observé ce phénomène dans un tiers des cas sur une première série de15 patients enregistrés traités par thrombectomie. Le caractère très inflammatoire est très thrombogène et même s'il ne s'agit que de petits effectifs, la tendance est assez marquée pour être notable.
Quel traitement préventif de ces AVC est-il conseillé de mettre en place ?
Les formes sévères d'AVC associés au Covid touchent des sujets âgés à risque. Les précautions reposent sur les gestes barrières et par le traitement des comorbidités. Le message à donner aux patients est « faites-vous suivre ».
Face à l'épidémie fin mars, début avril, les hôpitaux ont fait preuve d'une grande plasticité des unités. Ici à l'hôpital Foch, les lits de réanimation sont passés de 18 à 60, des unités Covid se sont créées. Tous les centres d'Île-de-France se sont adaptés.
Néanmoins, beaucoup de patients se sont retrouvés éloignés des soins et sont venus à l'hôpital en décompensation avec un retard de prise en charge, avec des tableaux de septicémies sur appendicites ou d'AVC à un stade tardif. S'il fallait refaire l'histoire, il faudrait ne pas mettre de côté les soins habituels hors Covid.
(1) T. Oxley et al., N. Engl. J of Med, 2020, 10.1056/NEJMc2009787
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