« L'épidémie en France métropolitaine est inéluctable ! » C'est ainsi que Didier Fontenile, entomologiste médical à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), a résumé en conférence de presse ce qui a conduit le Covars (comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires) à se saisir de l'évolution des arboviroses sur le territoire dans son dernier avis. Ce travail publié le 5 avril fait suite à une saisine des ministères de la Santé et de la Recherche, alors que « le moustique tigre est en expansion et (que) l'on s'achemine vers la fin des insecticides en santé publique ».
L’avis du Covars se concentre sur les trois arboviroses humaines posant le plus de problèmes de santé publique pour la France : la dengue, le Zika et le chikungunya. La dengue se propage le plus rapidement dans le monde, avec presque 4 milliards de personnes exposées, 500 000 cas et 40 000 décès par an, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Les trois arboviroses totalisent 100 à 400 millions d'infections chaque année.
En France, le nombre de cas d’arbovirose importés a été multiplié par 4,5 entre 2015 et 2019. Les territoires d'outre-mer sont en première ligne : plus de 90 % de la population de Martinique et de Guadeloupe ont été exposés à la dengue. Longtemps épargnée, la Réunion est durement touchée depuis 2019. « Il faut souligner que la situation ne va pas s'améliorer, ajoute le Pr Xavier de Lamballerie, de l'unité des virus émergents à l'université de la Méditerranée (Marseille). Il y a quatre sérotypes de la dengue, il n'est donc pas possible d'aller vers une séroprotection. »
Le Zika et le chikungunya ont, pour leur part, touché 20 à 40 % de la population d'Amérique du Sud. Ces deux virus provoquent une immunité de groupe, mais qui s'amenuise avec le temps.
La lutte antivectorielle, déjà débordée
En métropole, un nombre croissant de départements métropolitains abrite l'Aedes albopictus, ou « moustique tigre » (67 départements sur 96 en 2022). Dans le même temps, les Aedes ægypti sont de plus en plus fréquemment résistants aux insecticides. Résultats : on dénombrait 65 cas de dengue autochtone au cours de l'été 2022. Un record qui peut paraître peu, mais qui « a suffi à saturer les opérateurs de lutte contre les vecteurs » chargés d’empêcher la propagation, explique Didier Fontenile. « Nous ne sommes absolument pas prêts à l'augmentation à venir du nombre de cas ! », alerte-t-il.
Afin d'anticiper les besoins, le Covars propose d'organiser des simulations de déclenchement d'un plan Orsec dengue en métropole. Les grands événements internationaux à venir - jeux Olympiques de 2024 et Coupe du monde de rugby - seront particulièrement à surveiller. Un exercice anticipant la survenue de cinq foyers autour de cinq sites des Jeux olympiques est également proposé dans l'avis du Covars.
Plus globalement, « nous recommandons de faire entrer ces maladies dans le plan de préparation aux pandémies », résume la Pr Brigitte Autran, présidente du Covars.
Deux vaccins disponibles contre la dengue
Concernant la prise en charge, il n'existe pas encore de traitement spécifique, en dehors de l’hydratation en cas de forme grave de dengue. « Ces trois arboviroses ont en commun de cumuler des formes asymptomatiques et des formes avec des symptômes peu caractéristiques », explique le Pr André Cabie du service d'infectiologie du CHU de Martinique.
Il existe toutefois des distinctions. « Le chikungunya est une maladie extrêmement invalidante quand elle survient chez un voyageur, avec un syndrome post-chikungunya qui peut créer du handicap et des troubles musculosquelettiques, liste le Pr Denis Malvy, infectiologue au CHU de Bordeaux. Le Zika provoque des formes majoritairement asymptomatiques, mais reste dangereux au cours du premier trimestre de la grossesse. Et il ne faut pas négliger le risque, rare mais angoissant, de transmission sexuelle plusieurs mois après le retour du voyageur. »
Si la prise en charge est très standardisée dans les territoires ultramarins, avec des médecins de ville sensibilisés (mais des urgences parfois débordées lors des pics épidémiques), le Covars juge les médecins métropolitains insuffisamment préparés.
Deux vaccins disposent aujourd'hui d'une autorisation de mise sur le marché (AMM). Le premier est le Dengvaxia de Sanofi qui, à la suite de nombreux revers, n'est autorisé que pour les personnes ayant déjà été en contact avec la dengue (il augmente le risque de forme grave chez les patients séronégatifs). Il ne peut pas être utilisé en cas de flambée épidémique. Le second est le vaccin quadrivalent Qdenga de Takeda, utilisable à partir de 4 ans, exposé comme non exposé. De nombreux autres candidats sont en développement contre la dengue, Zika et chikungunya. Le Covars propose une saisine de la Haute Autorité de santé pour actualiser la stratégie vaccinale. Autre recommandation : la détection systématique des arboviroses dans les dons du sang et l'exclusion le cas échéant des dons contaminés.
Rationaliser la lutte antivectorielle
La lutte antivectorielle relève de la compétence d'un entrelacs d'acteurs publics et privés : agences régionales de santé (ARS), opérateurs de terrain, sociétés productrices de vaccins, chercheurs, architectes urbains, associations citoyennes… « Quand les moustiques sont non-contaminants, l'action est coordonnée par la municipalité, mais quand ils sont contaminants, cela relève du domaine de l'État, explique Didier Fontenile. Il y a un manque de dialogue et de clarté ! » Pour rationaliser les choses, le Covars appelle à la création d'un centre technique interprofessionnel qui serait copiloté (direction générale de la santé, Anses, SPF, ARS, opérateurs de la lutte antivectorielle).
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