Séisme et choléra dans la Caraïbe

Haïti, de Charybde en Scylla

Publié le 17/12/2010
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Crédit photo : AFP

12 JANVIER 2010. Deux cent cinquante-cinq ans après Lisbonne et « ses cent mille infortunés que la terre dévore » qui avaient tant questionné les Lumières, dont Voltaire, Haïti surgit de manière dramatique sur la scène internationale. « Un cauchemar », dira le Dr Claude Suréna au « Quotidien ». Le président de l’Association des médecins haïtiens a survécu. Des centaines de blessés ont accouru chez lui, sa cour et sa maison transformées en centre de soins improvisé. Port-au-Prince, la capitale, est en ruines et tous les symboles du pouvoir sont ébranlés, Palais national, Palais de justice, Cathédrale. Ceux de l’aide internationale aussi, le siège de la Minustah (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti), la tour de contrôle de l’aéroport. Le séisme d’une magnitude de 7,3 sur l’échelle de Richter avec son épicentre situé à 17 km à l’ouest de la capitale, près la ville de Léogâne détruite à 80 %, a fait de nombreuses victimes. Sauveteurs et humanitaires travailleront jour et nuit au milieu du chaos, des répliques du tremblement de terre et parfois des scènes d’émeutes, pour rechercher les survivants piégés sous les décombres, soigner les traumatismes majeurs, assurer les soins courants.

Le bilan est lourd : 222 570 morts, 300 572 blessés dont de nombreux amputés et 1,5 million de réfugiées soit 15 % de la population nationale, 600 000 fuiront la capitale. Les dégâts ont été estimés à 8 milliards de dollars (5,9 millions d’euros), l’équivalent de 120 % du PIB du pays. Lors d’une « Conférence des pays donateurs pour un avenir meilleur pour Haïti » organisée en mars au siège de l’ONU à New York, les États membres s’engagent à verser 5,3 milliards de dollars sur les deux prochaines années, et 9,9 milliards (7 milliards d’euros) au total pour les trois prochaines années et au-delà. L’élan de générosité qui a suivi le séisme a permis de mobiliser plus de 2 milliards de dollars (1,58 million d’euros) pour l’aide humanitaire. La reconstruction sera longue.

Six mois après le séisme, la phase d’urgence n’est pas terminée et seulement 2 % des 11 milliards promis ont été décaissés. L’accès à l’eau potable et aux soins de santé s’est amélioré, les épidémies ont été évitées mais Haïti est toujours un vaste champ de tentes et d’abris précaires. Seules un peu plus de 100 000 personnes ont retrouvé un toit. Le pays s’apprête à élire un nouveau président appelé à gouverner dans les abris provisoires des jardins du Palais présidentiel au dôme toujours bancal.

Du vibrion dans l’Artibonite.

19 octobre : le choléra qui avait disparu d’Haïti depuis plus d’un siècle est signalé dans la région de l’Artibonite, le plus long fleuve de toute l’île d’Hispaniola. En 48 heures, plus de 1 500 personnes sont admises à l’hôpital de Saint-Marc pour une diarrhée aiguë, le chiffre de 135 morts est avancé. Le CDC confirme le diagnostic de choléra : une même souche est isolée chez 14 malades, V. cholerae O1 El Tor, proche des souches qui circulent en Asie du sud. Tandis que l’épidémie s’étend dans l’ensemble des dix départements de l’île, la rumeur enfle, la colère aussi : le choléra aurait été introduit par les soldats de la Minustah.

Le Pr Renaud Piarroux, épidémiologiste au CHU de Marseille parti en mission à la demande des autorités françaises et du ministère haïtien de la Santé semble accréditer cette thèse. La souche en cause « n’est pas liée au séisme, elle ne provient pas non plus d’une souche environnementale ». D’évidence, selon le spécialiste, il s’agit d’une épidémie importée qui a commencé dans le centre du pays.Dans son rapport, il situe très précisément le point de départ de l’épidémie : « le foyer infectieux est parti du camp des Népalais ». Une contamination massive est sans doute en cause, provoquée « par le déversement en une seule fois dans le fleuve d’une quantité phénoménale de matières fécales issues d’un grand nombre de malades ». Une analyse moléculaire de différentes souches circulant dans le monde que la souche haïtienne diffère de la souche endémique en Amérique latine depuis l’épidémie du Pérou en 1991 mais qu’elle est proche des souches circulant au Bangladesh lors des épidémies de 2002 et 2008. L’enjeu, selon les experts, est d’éviter que cette souche, particulièrement virulente, ne supplante la souche américaine. Car l’épidémie continue à progresser. Près de 100 000 Haïtiens ont déjà été touchés et plus de 2 000 sont morts. Selon les dernières projections de l’OMS et du CDC, le nombre de cas au cours des prochains mois pourrait s’élever à 200 000 voire 400 000, dont plus de 10 000 décès.

Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8879