PAR LE Pr BENOÎT VEBER*
LA PRESCRIPTION d’antibiotique s’accompagne inévitablement d’une augmentation de la résistance bactérienne. Ainsi, Alexander Flemming a décrit, de façon quasiment simultanée dans les années trente, l’efficacité de la pénicilline et la production par le staphylocoque d’une pénicillinase inhibant l’activité de cette dernière. Depuis, une course sans fin entre l’élaboration de nouveaux antibiotiques actifs et la description de nouveaux mécanismes de résistance s’est engagée. Le dernier épisode est celui de la description, en août dernier, de la présence en Inde d’une souche d’Escherichia coli résistante à toutes les bêtalactamines, y compris l’imipénem, par sécrétion d’une carbapénèmase. Ce mécanisme de résistance étant porté par un plasmide, le risque de diffusion à d’autres entérobactéries est majeur, laissant entrevoir le risque de la totorésistance, y compris pour des infections communautaires. Ainsi, le lien déterminant entre prescription d’antibiotiques et développement de la résistance bactérienne impose la nécessité absolue de cibler les antibiothérapies sur les seules infections bactériennes le justifiant et de proposer la durée de traitement la plus courte possible, toute en obtenant la guérison, pour diminuer l’impact écologique de nos traitements.
Dans ce contexte, l’utilisation du taux sérique de la procalcitonine (PCT) prend tout son intérêt en réanimation pour, en complément des données cliniques et biologiques, nous aider à prescrire les antibiothérapies avec un souci d’efficacité mais aussi de diminution de la pression de sélection sur l’écosystème bactérien. En effet, le dosage de la procalcitonine apporte une amélioration significative, en association avec les critères cliniques, pour le diagnostic positif de sepsis d’origine bactérien (les courbes ROC passent de 0,77 à 0,94). Ainsi, avec une valeur seuil de PCT fixée à 1 ng/ml, la sensibilité du test pour prédire la réalité du sepsis bactérien est de 89 % et la spécificité de 94 % (Müller B, et al. Crit Care Med 2000). De même, la cinétique des taux de procalcitonine a une valeur pertinente pour prédire une évolution favorable ou non. Ce point est bien démontré dans les pneumonies acquises sous ventilation mécanique en réanimation, où une procalcitonine supérieure à 0,5 ng/ml au septième jour de traitement est le paramètre le plus prédictif d’un échec thérapeutique (sensibilité de 90 % et spécificité de 88 %, AUC : 0,91, OR : 64,2 ; p = 0,002) (Luyt CE, et al. Am J Respir Crit Care Med 2005). De plus, dans les infections pulmonaires basses, une stratégie d’arrêt des traitements fondée sur l’évolution du taux de procalcitonine aboutit à une moindre exposition aux antibiotiques (5,7 jours d’antibiothérapie dans le groupe procalcitonine contre 8,7 jours dans le groupe témoin) et donc à moins d’effets secondaires rapportés au traitement (Schuetz P, et al. JAMA 2009).
La procalcitonine a aussi sa place dans le monitorage postopératoire des péritonites. Ainsi, au quatrième jour postopératoire, un taux de procalcitonine supérieur à 13 ng/ml permet de distinguer, avec une assez bonne fiabilité, les patients ayant un SIRS (systemic inflammatory response syndrome) de ceux souffrant d’une complication infectieuse intra-abdominale (Rau BM, et al. Arch Surg 2007).
Dans le traitement des patients en sepsis sévère ou en choc septique, un algorithme de décision d’arrêt des antibiotiques basé sur la diminution quotidienne du taux de procalcitonine permet de réduire la durée de traitement de 4 jours et de diminuer la durée de séjour en réanimation de 2 jours sans incidence sur la récurrence de l’infection ni altération du devenir des patients (Nobre V, et al. Am J Respir Crit Care Med 2008).
Enfin, l’étude PRORATA, publiée en janvier 2010 dans le Lancet par L. Bouadma (Lancet 2010; 375:463-74), démontre qu’une stratégie utilisant le taux de procalcitonine permet, chez des
patients de réanimation suspects d’infection bactérienne, de réduire?significativement?le nombre de jours sous antibiotiques (2,7 jours de moins en moyenne que le groupe témoin), sans rechute ni impact sur le pronostic vital.
Ainsi, de façon synthétique, il est possible de dire que la valeur absolue de la procalcitonine prise isolément ne permet pas un diagnostic formel d’infection bactérienne. Néanmoins, la procalcitonine s’intègre dans la stratégie diagnostique de ces infections. Quand sa valeur est élevée, elle a un intérêt pour le diagnostic positif et la décision d’instaurer l’antibiothérapie. Quand sa valeur est normale, elle permet d’éliminer une infection bactérienne systémique. Son interprétation est plus difficile, dans un contexte de SIRS, lors que ses valeurs sont légèrement supérieures à la normale.
Une condition : disposer du résultat rapidement.
Elle a probablement une valeur pronostique, sans que cela ait actuellement un impact démontré sur la prise en charge des patients. Sa cinétique est pertinente pour aider à dépister une complication infectieuse précocement, notamment en postopératoire de chirurgie abdominale, pour juger de l’efficacité du traitement, pour instaurer mais surtout pour arrêter l’antibiothérapie. Cette stratégie d’utilisation nécessite néanmoins de disposer d’un dosage avec un délai de réponse de l’ordre d’une heure.
Dans ce contexte, la procalcitonine représente un outil pertinent d’aide pour une diminution raisonnée et sécurisée de la prescription des antibiotiques dans nos services de réanimation.
* Réanimation chirurgicale, CHU Charles Nicolle, Rouen.
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