Par le Pr THIERRY MAY*
LA BACTÉRIE sporulante Bacillus anthracis est considérée comme l’une des armes biologiques possibles les plus dangereuses. Depuis 2001, le risque d’inhalation après une éventuelle dissémination intentionnelle a fait l’objet de nombreuses recommandations à la fois pour le traitement préemptif immédiatement après exposition et après apparition des symptômes. En revanche, dans le contexte d’une exposition d’origine naturelle au bacille du charbon (animaux d’élevage principalement), la prise en charge des sujets potentiellement exposés n’avait encore jamais fait l’objet de recommandations thérapeutiques. La littérature est très pauvre sur le sujet alors que chaque année des foyers de charbon animal continuent d’être signalés dans diverses régions de France, avec des individus potentiellement exposés au bacille du charbon.
Le charbon animal.
La fièvre charbonneuse (FC) due à B. anthracis survient préférentiellement à la belle saison chez des animaux mis en pâture sur des terrains contaminés, après de longues périodes de sécheresse suivies d’épisodes de pluie. Elle touche principalement les herbivores, plus rarement les omnivores ou carnivores, domestiques ou sauvages. Elle se présente généralement sous la forme d’une maladie aiguë, septicémique, évoluant rapidement vers la mort, avec des symptômes généraux, digestifs, respiratoires et méningés. L’incubation dure en général de un jour chez les ovins à trois, voire sept jours, chez les bovins.
Trois formes chez l’homme.
Dans le contexte de transmission « naturelle », l’homme est contaminé lors d’exposition aux animaux malades ou aux produits animaux contaminés. La maladie humaine existe sous trois formes : cutanée, d’inhalation ou gastro-intestinale. La transmission survient par contact cutané ou muqueux avec des spores présentes sur des animaux contaminés, par inhalation d’un aérosol de spores pénétrant dans les alvéoles pulmonaires ou par ingestion de produits contaminés.
En France, depuis 2002, 4 cas de charbon cutané humain ont été identifiés et 61 foyers de charbon animal confirmés ont été signalés dans 12 départements. Au cours de ces épisodes, 150 personnes ont reçu un traitement prophylactique post-exposition, soit en moyenne 14 par foyer de charbon animal (0 à 108). Les personnes retenues comme exposées à la bactérie ou à ses spores étaient le plus souvent les éleveurs propriétaires des animaux charbonneux et les personnes travaillant dans les élevages concernés, le vétérinaire ayant examiné l’animal ou les animaux, et les personnels des entreprises d’équarrissage ayant traité les cadavres d’animaux.
Enquête et traitement préemptif.
Dès la suspicion de foyer de charbon animal, l’Agence régionale de la santé (ARS) recense les personnes potentiellement exposées, en lien avec la Direction départementale de protection des populations (DDPP anciennement Direction Départementale des Services Vétérinaires) et l’InVS/CIRE. Les expositions recherchées comprennent les contacts directs avec l’animal ou les animaux charbonneux, et les produits issus de ces animaux, parmi les personnes qui habitent et travaillent dans l’élevage, et parmi les intervenants extérieurs tels que le vétérinaire de l’élevage, le personnel de l’entreprise d’équarrissage, etc. Une fois vérifiée la réalité du contact, ces personnes sont adressées à un médecin qui détermine si un traitement antibiotique est nécessaire, et le cas échéant, le prescrit.
Le groupe de travail recommande de débuter le traitement antibiotique le plus tôt possible après l’exposition. Le recours à la vaccination préventive chez l’homme n’est pas possible en l’absence de vaccin disponible en France.
En raison de la possibilité de sécrétion d’une bêta-lactamase inductible, la monothérapie par pénicilline ou amoxicilline n’est pas recommandée sans antibiogramme préalable. La détermination de la sensibilité des souches isolées est toujours nécessaire. La ciprofloxacine ou la doxycycline sont les deux molécules de choix pour initier le traitement avant antibiogramme.
La durée du traitement préemptif devrait être de l’ordre de deux fois la durée d’incubation moyenne de la maladie, soit 10 jours pour les expositions cutanées ou digestives. Pour les expositions par voie aérienne, cette incubation peut être plus longue. Dans le cas du bioterrorisme, la recommandation est de traiter 60 jours, mais en cas de contamination « naturelle » ou non malveillante, 35 jours semblent suffisants.
Indications et modalités du traitement.
Des indications précises ont été établies pour chaque modalité d’exposition, cutanée, respiratoire ou alimentaire. Ainsi, la manipulation d’un cadavre animal avec port de gants ne justifie pas de traitement, mais peut le justifier en absence de gants. Dans les entreprises d’équarrissage, l’exposition à des aérosols provenant d’animaux suspects ou l’utilisation d’un nettoyeur haute pression sans protection (masque ou visière) constitue une indication à un traitement. De même, la consommation de viande provenant d’animaux malades et datant de moins de 40 jours est une indication.
Ces recommandations seront publiées prochainement sous forme d’algorithme permettant pour chaque situation à risque de proposer ou non un traitement probabiliste. En cas d’exposition chez une femme enceinte ou un enfant, les modalités thérapeutiques sont également précisées.
* Service de Maladies Infectieuses et Tropicales, Nancy.
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