Les campagnes de communication visant à lutter contre l'antibiorésistance sont surtout concentrées sur les efforts de limitation de consommation des antibiotiques. Il se pourrait pourtant que ce facteur ne soit pas majeur pour prédire les niveaux de résistance, à en croire les conclusions des chercheurs de l'Institut Pasteur et de l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines publiées dans le « Lancet Planetary Health ».
Si les mécanismes d'apparition d'une résistance à un antibiotique sont connus au sein d'une bactérie donnée, on en sait encore peu sur la manière dont ces antibiorésistances diffusent au niveau d'une population ou d'un territoire.
Les chercheurs ont utilisé la base de données ATLAS de suivi des résistances pour 13 couples bactérie/antibiotique issue de 51 pays sur une période de 14 ans (entre 2006 et 2019), soit plus de 800 000 isolats. À partir de cette masse de données, ils ont mis en place un modèle statistique grâce auquel ils ont mis en évidence des différences importantes, d'un couple bactérie-antibiotique à l'autre, en ce qui concerne les facteurs associés à l'antibiorésistance.
« Ce n'est pas la première fois que l'on utilise ce type de données. La spécificité réside dans la grande variété de couples bactérie-mécanisme de résistance à partir d'une base de données qui inclut un très grand nombre de pays de tous les continents depuis 2006, explique Eve Rahbé, épidémiologiste spécialisée dans la modélisation des résistances aux antibiotiques et première autrice de l'étude. La plupart des études précédentes s'intéressaient à la résistance de manière globale ou alors uniquement aux entérobactéries. »
Chaque couple bactérie/antibiotique est unique
Dans un premier temps, les chercheurs ont sélectionné et évalué l'impact relatif de 11 facteurs pertinents susceptibles d'influer sur les dynamiques d’antibiorésistance : qualité du système de soin, consommation d’antibiotiques, PIB, mobilité de la population, variables climatiques, etc.
Leur première conclusion est contre-intuitive : il n'y a pas systématiquement d'association directe entre consommation d'antibiotiques dans un territoire donné et augmentation de l'antibiorésistance, avec quelques exceptions : la consommation de quinolones augmente les résistances aux quinolones des Escherichia coli et des Pseudomonas aeruginosa et la consommation de carbapénèmes la résistance des Acinetobacter baumannii.
« De façon surprenante, aucune résistance aux céphalosporines de 3e génération n'était associée à une forte consommation d'antibiotiques », ajoutent les auteurs qui précisent toutefois que cela peut être dû au fait que les ventes de ces antibiotiques ont tendance à décroître au niveau mondial.
D'autres facteurs ont en revanche été mis en évidence : un système de santé de bonne qualité est associé à de faibles niveaux d’antibiorésistance chez toutes les bactéries à Gram négatif étudiées, tandis que des températures élevées sont, à l’inverse, associées à des forts niveaux d’antibiorésistance chez les entérobactéries (E. coli et Klebsiella pneumoniae).
Toutefois, aucun des 11 facteurs retenus par les chercheurs n'est corrélé à une augmentation de la résistance bactérienne pour l'ensemble des couples bactérie/antibiotique. « Le facteur le plus transversal est l'indice de qualité du système de santé (Global Health Security Index), qui est corrélé pour toutes les combinaisons, sauf celles impliquant des entérocoques et le streptocoque penumoniae », précise Lulla Opatowski, professeur à l'université de Versailles Saint Quentin en Yvelines qui dirige un groupe de modélisation au sein de l'unité « Épidémiologie et modélisation de la résistance bactérienne aux antibiotiques » de l'Institut Pasteur.
La multiplication des événements climatiques extrêmes est également pointée du doigt. Les auteurs constatent ainsi une association entre de forts niveaux de résistance et l'apparition de catastrophes telles que des ouragans ou des inondations.
En France, les campagnes de lutte contre l'antibiorésistance sont essentiellement ancrées autour de la réduction de la consommation d'antibiotiques. « Agir sur ce seul facteur ne suffit pas, juge Lulla Opatowski. Pour certaines bactéries communautaires comme les pneumocoques, il y a une association significative entre la consommation d'antibiotiques et l'évolution des résistances, mais globalement, ce n'est pas un facteur majeur pour la plupart des espèces étudiées dans notre article. »
Pas de recette miracle
Pour résumer : il n'y a donc pas de recette miracle pour lutter contre l'antibiorésistance, et chaque politique publique doit donc s'adapter au contexte local et aux combinaisons bactérie/antibiotique ciblées. « L'information très importante à retenir de ce travail est que les facteurs qui influencent l'augmentation de l'antibiorésistance dépendent du couple bactérie/antibiotique considéré », souligne Lulla Opatowski. Il faut aussi que chaque pays questionne les facteurs pertinents qui lui sont propres.
L'enjeu est de taille : selon une étude récente publiée dans le « Lancet », on estime que 4,95 millions de décès dans le monde surviennent chez des patients souffrant d'infection bactérienne multirésistante, dont 1,27 million est directement attribuable à cette infection. L'Afrique subsaharienne est la région du monde la plus touchée avec 27,3 décès pour 100 000 habitants. Les six pathogènes multirésistants le plus souvent associés à ces décès étaient E. coli, Staphylococcus aureus, K. pneumoniae, Streptococcus pneumoniae, A. baumannii et P. aeruginosa.
Pour la suite, les statisticiens de l'Institut Pasteur espèrent appliquer leur modèle à d’autres bases de données, comme celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), notamment pour améliorer les connaissances des déterminants de résistance. « La surveillance de la résistance aux antibiotiques est encore récente et incomplète : on se focalise encore trop sur certaines espèces de bactéries, indique Eve Rahbé. Il y a aussi un effort à faire sur la collecte des données de consommation des antibiotiques. Toutes les ventes d'antibiotiques qui ne passent pas par les circuits officiels, sur les marchés par exemple, passent sous le radar. »
À l'avenir, Eve Rahbé souhaiterait ajouter davantage de variables à son modèle statistique : « On voudrait notamment intégrer le fait de savoir si les gens s'adressent en priorité à leur médecin de ville ou à l'hôpital, détaille-t-elle. La Corée du Sud est, par exemple, un pays ou les variations de prévalence de l'antibiorésistance ne s'expliquent pas bien. Or, c'est un pays où les gens consultent beaucoup à l'hôpital. » La chercheuse travaille également sur la modélisation mathématique des transmissions entre individus au sein d'un même pays et des transmissions via les voyages internationaux.
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