LE PLAN « pandémie grippale » a été élaboré dès 2005 en anticipant l’humanisation du virus A /H5N1 dont la virulence est majeure, donc pour faire face à une pandémie de gravité majeure, rappelle le Pr Marchou. « Ce scénario virtuel a voulu imposer sa loi au réel », commente-t-il. Or, très rapidement, on a constaté que le virus H1N1 était certes très contagieux, mais peu dangereux. L’expérience des pays du sud qui ont connu l’épidémie avant nous l’attestait, la grande majorité des malades n’avait que très peu de symptômes. La directrice de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Margaret Chan, elle-même reconnaissait dès août 2009 que si le virus se répandait très rapidement, il ne provoquait pas le plus souvent d’infection grave. « Puisque les données du terrain ne cadraient pas avec le plan, il aurait idéalement fallu l’adapter au plus tôt », souligne le Pr Marchou. Mais la stratégie était déjà adoptée, les masques commandés, les vaccins en préparation.
Dès 2005, l’OMS avait fourni aux laboratoires pharmaceutiques qui l’avaient demandé la souche H5N1 à partir de laquelle ils ont préparé un « vaccin prototype » prépandémique. Ces laboratoires ont investi dans la préparation d’un vaccin destiné à faire face à une pandémie sévère, ils ont mis en place toute l’infrastructure pour le produire attendant un retour sur investissement ce qui ne saurait leur être reproché, résume le Pr Marchou. Les politiques, traumatisés par des affaires douloureuses, le sang contaminé, la canicule… et, plus récemment, le chikungunya à l’île de la Réunion, ont voulu appliquer le principe de précaution. À leur décharge, les commandes de vaccin ont été passées avant que l’on ne connaisse la relative bénignité du H1N1. Ensuite, ils ne pouvaient plus revenir en arrière.
Les experts.
Les experts ont été très peu nombreux à faire entendre un autre message, comme celui de s’opposer à l’hospitalisation des patients, systématique au début de l’épidémie, et à l’ensemble des mesures mises en œuvre. La majorité de ceux qui travaillent sur la grippe a bien entendu des rapports professionnels avec des personnels de l’industrie pharmaceutique qui fabrique les vaccins, remarque le Pr Marchou, ce qui n’a rien d’anormal et ne saurait leur être reproché. Sans rentrer dans des considérations de « conflit d’intérêt », cette proximité ajoute de l’affectif et de la complexité dans certaines prises de position. Quant aux professionnels de santé de terrain, ils ont très mal vécu leur exclusion de la gestion de l’épidémie et de la vaccination. Même si, au départ, la décision de ne pas les engager dans la campagne de vaccination reposait sur le fait qu’il fallait les en décharger pour qu’ils puissent prendre en charge les malades.
Les leçons.
Le fiasco de la vaccination en particulier et du plan pandémie en général incite à plusieurs remises en cause. D’abord celle du plan : peut-on raisonnablement prévenir un « accident » qui, par définition, survient où et quand il n’était pas attendu ? Non, estime le Pr Marchou. Or une pandémie est un « accident infectieux » : on ne peut pas tout prévoir et tout prévenir. Quels que soient les progrès de la science, il faut sans doute accepter l’idée que « l’accident épidémique » est toujours possible. Faut-il alors se résigner et attendre le pire ? Bien sûr que non ! Il faut poursuivre et améliorer les systèmes d’alerte qui existent déjà, afin d’assurer une très bonne réactivité pour mettre en œuvre des mesures qui correspondent à une réalité et non à un scénario virtuel.
Deuxième élément : la vaccination est-elle la réponse quand la pandémie est déclarée ? Non au niveau collectif, bien que possiblement efficace au niveau individuel pense à nouveau le Pr Marchou. Il faut promouvoir des moyens simples et applicables par tous. Au lieu de diffuser des recommandations comme de tousser et éternuer « dans le coude », il aurait fallu, depuis les dernières années, éduquer le public à la prévention des infections à transmission aérienne et faire entrer dans la pratique quotidienne le port de masque simple (antiprojection) que l’on devrait pouvoir acheter dans les grandes surfaces ou les commerces de proximité, explique le Pr Marchou. L’INPES avait d’ailleurs édité dès 2006 des affiches « un geste simple pour limiter les risques d’infection » (photo), précise-t-il, qui auraient pu servir de base à cette communication et que bien peu connaissent. Par ailleurs, il faut évidemment impliquer les professionnels de terrain et l’ensemble de la population et ne pas croire que tout peut se faire au niveau des seuls experts.
Enfin, se pose la question des traitements antiviraux. En cas d’épidémie avérée et face à un virus dont on prévoit la gravité, le bénéfice d’un traitement antiviral efficace (comme l’oseltamivir sur le virus A/H1N1 2009) administré dès les premiers symptômes à tout malade est démontré, cela permet d’atténuer les symptômes et d’interrompre la transmission. Traiter tous les syndromes grippaux dans les premières 24 heures permet aussi de réduire le risque de survenue de formes graves pouvant survenir chez des adultes sans facteurs de risque. Dans un contexte épidémique, la place de ce traitement devrait être centrale, mais seulement en curatif, non à visée prophylactique.
* D’après un entretien avec le Pr Bruno Marchou, service de maladies infectieuses et tropicales, hôpital Purpan, CHU de Toulouse.
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