LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - En tant que président d’UNITAID et secrétaire général adjoint des Nations Unies, quel regard portez-vous sur la crise économique actuelle ?
PHILIPPE DOUSTE-BLAZY - En réalité, aujourd’hui, le problème numéro un dans le monde est, avant même la prolifération nucléaire, le fossé toujours plus grand qui se creuse entre les pays riches et les pays pauvres. Avec la crise actuelle, nous avons vu se succéder plusieurs vagues : la première, la crise financière, a été suivie d’une crise économique dans les pays riches, la troisième vague risque d’être effrayante. La crise qui va toucher les pays pauvres entraînera des centaines de millions de personnes dans la pauvreté extrême. Deux milliards vivent déjà avec moins de 2 dollars par jour, un milliard avec moins de 1 dollar. La vraie arme nucléaire, aujourd’hui c’est la pauvreté.
Un des objectifs du millénaire consistait précisément à réduire la pauvreté. Cet objectif ne va-t-il pas être difficile à tenir ?
Il faut à tout prix diminuer la pauvreté. En 2000, 192 chefs d’État et de gouvernement ont signé les fameux objectifs du millénaire pour le développement en présence de Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU. Nous savons qu’il faudra 150 milliards de dollars par an pour diminuer la pauvreté de moitié d’ici à 2015. Cent milliards ont été donnés, nous devons en trouver 50. Il y a seulement quelques mois, une telle somme semblait inatteignable. Depuis, des montants considérables ont été annoncés pour financer différents plans de relance dans les pays développés - 900 milliards par exemple pour les seuls États-Unis. Il les faut pour consolider notre économie. Que sont 50 milliards à côté de cette énorme somme ? Mais nous sommes pris au piège de notre démocratie. Les chefs d’États et de gouvernement auront du mal à faire admettre de nouvelles taxes ou impôts pour aider les pays pauvres. Il faut donc trouver de nouveaux financements.
D’où l’intérêt d’initiatives comme UNITAID. Où en est-on depuis le lancement en 2006 de la contribution de solidarité sur les billets d’avion ?
Lorsque l’idée a été émise en 2004 par le président Jacques Chirac et Lula, le président du Brésil, notamment, il régnait un certain scepticisme. Aujourd’hui, chacun admet que c’est la solution. Il s’agit d’un financement innovant, indépendant du budget des États, qui consiste en une petite contribution (2 euros) sur chaque billet d’avion. Une quinzaine de pays appliquent déjà cette taxe et in fine, elle devrait être adoptée par une vingtaine de nations. Le budget d’UNITAID est de 350 millions de dollars par an et nous pouvons nous engager sur cinq, voire dix ans. Le caractère pérenne de ce financement permet d’influencer les mécanismes de marché. Grâce à l’effet prix/volume, nous avons pu, pour la première fois de l’histoire, diminuer de moitié les prix des médicaments pour la tuberculose, le sida et le paludisme. Nous avons en particulier contribué à une réduction substantielle des prix des traitements pédiatriques combinés à doses fixes d’antirétroviraux.
Ce fut d’ailleurs l’un des premiers succès d’UNITAID, n’est-ce pas ?
Lorsque nous avons démarré, nous nous sommes aperçus que les enfants atteints de sida n’avaient pas droit à des formes pédiatriques. Pour traiter les enfants, les comprimés pour adultes devaient être coupés en deux avec un risque de sur- ou de sous-dosage. Dans les pays développés, peu d’enfants naissent avec le VIH parce que les mères bénéficient d’une trithérapie pendant la grossesse. Les laboratoires n’avaient donc pas d’intérêt à produire ces formes pédiatriques. C’est tout le problème du capitalisme. Le capitalisme c’est très bien - sauf le cynisme du capitalisme financier - mais il a une limite. Lorsqu’il n’y a plus d’argent et que les personnes n’ont plus rien, ils n’ont même pas droit aux biens publics mondiaux que sont la santé et l’éducation. UNITAID et les financements innovants représentent, de ce point de vue, un nouveau capitalisme et permettent de trouver des solutions pour que ceux qui n’ont rien aient accès à ces biens fondamentaux.
Vous vous situez là davantage sur le plan politique que sanitaire.
C’est un sujet capital, parce que l’on ne pourra pas continuer longtemps comme cela. Il y a un risque majeur d’embrasement du monde. Les gens ne regarderont pas toujours leurs enfants mourir de tuberculose alors qu’ils savent qu’ailleurs la maladie ne tue plus. Ils viendront chercher la rifampicine, découverte en 1950, là où elle est. Ce n’est pas seulement un sujet sanitaire. Ce n’est pas qu’un problème éthique ou moral. Évidemment, il est sanitaire, éthique et moral, mais il est avant tout politique. Je n’aurai jamais fait autant de politique qu’aujourd’hui. Pour moi, c’est une des grandes parties de la vie politique internationale qui se joue là. Comment mettre à profit cette période pour réagir ? Comment partager notre richesse ? Comment faire entrer l’altruisme parmi les grandes valeurs du XXI e siècle. Les microcontributions volontaires des riches pour les pauvres sont une des clefs.
Est-ce une notion partagée dans les instances internationales ?
Le fait que le secrétaire général m’ait choisi comme envoyé spécial pour les financements innovants montre bien qu’il existe un intérêt. Je vais bientôt faire une conférence à l’ONU sur ces sujets et je constate que de plus en plus de chefs d’État s’intéressent à la question. J’ai été invité par Gordon Brown, il y a 3 semaines, pour parler de ces nouveaux financements et j’ai eu l’occasion de rencontrer l’administration Obama à plusieurs reprises. Dans notre bureau sont d’ailleurs représentés les gouvernements français, britannique, brésilien, norvégien, chilien et la Fondation Bill Gates. Le président Clinton et son épouse connaissent bien UNITAID, car nous travaillons avec sa fondation depuis longtemps.
En quoi consiste cette collaboration ?
Nous ne sommes pas sur le terrain mais nos experts, une quinzaine de spécialistes de la santé publique, choisissent les programmes que nous soutenons. Les traitements de 3 enfants sur 4 atteints de sida sont aujourd’hui financés par UNITAID via la fondation Clinton. Avec l’UNICEF, nous menons un important programme de prévention de la transmission du virus du VIH/sida de la mère à l’enfant. Et aujourd’hui, nous lançons en Norvège le programme AMFm (Affordable Medicine Facilities Malaria), un projet du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dirigé par Michel Kazatchkine, et de Roll Back Malaria (Faire reculer le paludisme).
Quelle va être la contribution d’UNITAID ?
Il s’agit du plus grand projet jamais conçu pour réduire de manière drastique la mortalité liée au paludisme. Aujourd’hui, un enfant meurt toutes les 30 secondes du paludisme alors que l’on peut prévenir et que l’on peut traiter la maladie grâce aux combinaisons à base d'artémisinine, les ACT. Le problème est double : il faut à la fois traiter le plus grand nombre de personnes possible et dans le même temps retarder l’émergence de parasites résistants, comme cela a été le cas pour la chloroquine et le sulfadoxine-pyriméthamine (SP). Malgré leur inefficacité, les malades continuent à acheter ces molécules parce qu’elles coûtent moins chers que les ACT, 0,30 dollar pour la chloroquine et 0,50 dollar pour le SP, contre 0,80 dollar pour les combinaisons à base d’artémisinine. Tant que cette situation perdurera, les malades des pays endémiques continueront à prendre de la chloroquine et ils ne seront pas soignés. La majorité les achète dans le secteur privé non officiel (officines et épiceries). L’idée est que les malades paient les ACT au même prix que la chloroquine.
C’est ici qu’intervient UNITAID ?
Nous allons faire jouer le fameux effet prix/volume grâce à une négociation directe avec les producteurs de médicaments. Dans le secteur privé, ce mécanisme sera complété par un mécanisme de co-paiement qui consistera en une subvention donnée aux commerçants pour chaque traitement. Un programme spécifique d’éducation leur est destiné. L’objectif est que le pourcentage d’ACT délivré passe de 5 à 60 % dans le secteur privé et de 60 à 90 % dans le secteur public (hôpitaux, dispensaires).
La première phase va être lancée dans onze pays* et un système d’évaluation va être mis en place. Deux cent vingt-cinq millions de dollars sur deux ans seront nécessaires, UNITAID en apportera 130 sur deux ans. La partie intervention sur le terrain nécessitera de 100 à 125 millions de dollars et sera financée par les pays eux-mêmes et par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. En tant que président d’UNITAID, je copréside le comité ad hoc de l’AMFm, qui sera hébergé par le Fonds mondial.
N’y a-t-il pas un risque de manquer d’Artemisia annua, la plante dont est extraite l’artémisinine ?
Dans la première phase non. Cependant, plus de 500 millions de personnes sont touchés chaque année par le paludisme. Pour les traiter, il faudra aussi garantir la production de la plante en subventionnant les paysans qui la cultivent, essentiellement en Chine. UNITAID apportera une garantie à hauteur de 13-14 millions. L’ensemble du programme permettra de sauver 170 000 à 300 000 vies par an.
* Bénin, Cambodge, Ghana, Kenya, Madagascar, Niger, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Tanzanie et Ouganda.
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