LES AVIS vont sans doute rester partagés. Il faut bien admettre que les résultats de l’équipe du Dr Anne-Marie de Smet battent en brèche des concepts bien établis en bactériologie. Une antibioprophylaxie sélective en réanimation diminuerait le risque de bactériémies sans favoriser l’émergence de résistance bactérienne. L’équipe de la faculté de médecine d’Utrecht a tiré ses conclusions d’une étude menée chez 5 463 patients admis dans 13 services de réanimation aux Pays-Bas.
Il existerait des bénéfices à la décontamination sélective, qu’elle soit à visée oropharyngée (DSO) ou digestive (DSD). La procédure consiste à administrer quotidiennement de la tobramycine, de la colistine, de l’amphotéricine B en topique gel au niveau de l’oropharynx pour la DSO, ainsi qu’au niveau de l’estomac pour la DSD en association à 4 jours de céfotaxime en IV.
Surveillance bactériologique
Étaient éligibles les patients dont la durée prévisible de ventilation mécanique était›48 heures ou dont la durée prévisible d’hospitalisation en unité de soins intensifs était›72 heures. Les participants étaient randomisés dans l’un des trois groupes de l’étude, standard (1 837), DSO (1 758) ou DSD (1 868). La période d’étude était précédée d’un mois de « wash in » ou de « wash out », la période d’inclusion débutant après la période de « wash in ». L’administration d’antibiotiques modifiant les résistances bactériennes, tels que l’amoxicilline, la pénicilline et les carbapénèmes, était déconseillée. Des aspirations endotrachéales et oropharyngées étaient réalisées à l’admission, puis deux fois par semaine, des hémocultures à l’admission, trois jours plus tard et sur signe d’appel clinique. Les micro-organismes hautement résistants étaient définis en trois groupes : les entérobactéries, les bacilles à Gram négatif non fermentants et celles Gram positif.
Dans le groupe standard, 13 % des patients (239) ont acquis une bactériémie après 3 jours, par rapport à 9 % (158) dans le groupe DSO et à 7 % (124) dans le groupe DSD. Des bactériémies à germes hautement résistants ont été observées chez 8 patients du groupe DSD, par rapport à 18 dans le groupe standard et à 20 dans le groupe DSD. Pour une durée d’hospitalisation de plus de 3 jours, des aspirations endotrachéales ont été obtenues chez environ la moitié des participants des trois groupes. Quant à la colonisation de l’arbre respiratoire à microorganismes hautement résistants, les chercheurs l’ont constatée chez 128 (15 %) patients du groupe standard, par rapport à 74 (8 %) du groupe DSD et 88 (10 %) du groupe DSO. La colonisation respiratoire à bactéries gram négatif, à pathogènes résistants au céfotaxime ou à la colistine était plus faible dans le groupe DSD.
Résistances à long terme
L’utilisation quotidienne de topiques antibactériens (tobramycine et colistine) ne s’est pas traduite par l’acquisition de bactéries Gram négatif résistantes. Plus surprenant encore, l’administration intraveineuse de céfotaxime pendant 4 jours, considérée habituellement comme un facteur de risque de résistance, s’est avérée diminuer fortement l’émergence d’entérobactéries résistantes au céfotaxime au niveau de l’arbre respiratoire. Alors que la décontamination sélective fait redouter la survenue de résistance, l’étude néerlandaise montre le contraire.
Pour le moment, le phénomène n’est pas clairement expliqué. Sans doute le faible taux de prescription antibiotique, en particulier de carbapénème, des services participants a joué un rôle. La situation est difficilement reproductible partout ailleurs. Mais surtout, de l’aveu même des auteurs, la période d’observation de l’étude était relativement courte. Il n’est pas exclu que les résistances ne soient pas immédiates et qu’un rebond apparaisse à l’arrêt de la décontamination. Avant de recommander une utilisation large de la décontamination bactérienne sélective en réanimation, il semble préférable d’évaluer avec précaution le développement de résistance, en particulier de bactéries productrices de bêta lactamase à large spectre et de carbapénèmase.
The Lancet, publié en ligne le 21 mars 2011. DOI:10.1016/S1473-3099(11)70035-4.
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