L'édition 2020 du rapport de l'Onusida, présenté en ouverture du 23e congrès international sur le sida, dresse un premier bilan alarmiste de l'impact de la crise sanitaire causée par l'épidémie de Covid-19, sur les politiques de lutte et de prévention contre le VIH. « L'épidémie de Covid-19 pourrait nous faire perdre au moins 10 ans de progrès, si elle provoque des dommages dans les services destinés aux patients infectés par le VIH », affirment les auteurs.
« On est désormais à près convaincus que la population VIH, qui était à risque élevé, n'a pas de risque particulier vis-à-vis de l'infection Covid-19 s'ils sont sous traitement, explique le Pr François Dabis, directeur de l'ANRS. Mais le risque de saturation des systèmes de santé fit courir des risques de ruptures de soins, ce qui augmente le risque de décompenser leur pathologie ou de transmettre la pathologie. »
En France, les données de l'assurance maladie font état d'une baisse de moitié de l'activité du dépistage du VIH au cours des mois de confinement, ce qui laisse craindre un effet démultiplié de l'épidémie dans les pays dont les systèmes de santé sont les plus fragiles. À ce titre, le Pr Dabis cite le Brésil et l'Afrique du Sud : « le risque est d'autant plus grand que ce sont les pays qui avaient fait le plus de progrès ces dernières années, explique-t-il. Du côté du Brésil, le gouvernement fait l'autruche et bloque les statistiques, on n'est donc pas près d'avoir des données sur l'ampleur du phénomène. Nous avons dû interrompre des coopérations internationales et nous savons que le gouvernement ne permettra pas qu'on les relance. En Afrique du Sud, et plus particulier la province du Cap connaît aussi des difficultés. »
Pour Lillian Mworeko, représentante des femmes vivant avec le VIH invitée par l'Onusida à s'exprimer : « L'épidémie de Covid-19 a un impact important sur les droits humains, explique-t-elle. Les mesures de confinement ont été très problématiques pour les femmes dans un certain nombre de pays où il ne leur a pas été possible de se rendre dans un centre de traitement ou de dépistage sans en parler à leur entourage pour obtenir de l'aide ou une autorisation. »
« L'autre grande menace est que les mesures de confinement peuvent servir à certains gouvernements à accentuer les mesures de coercitions et de discrimination contre les minorités sexuelles et les toxicomanes », abonde le Pr Dabis.
110 000 morts supplémentaires à craindre
Selon les modélisations de l'Onusida, six mois d'interruption complète de la dispensation de traitement en Afrique subsaharienne pourraient ramener la région au même stade qu'en 2008, c’est-à-dire 500 000 décès supplémentaires. Toujours selon le même modèle, une réduction plus vraisemblable de 20 % de la dispensation serait à l'origine de 110 000 morts supplémentaires.
« À ce stade, l'Onusida dénombre 73 pays qui reconnaissent l'existence d'un risque sur leur programme de lutte contre le sida, dont 24 évoquent des difficultés d'accès aux traitements, explique Meg Doherty, directrice du département VIH, IST et Hépatite de l'OMS. C'est encore plus vrai pour les enfants, vu les difficultés d'accès aux traitements en temps normal. Par ailleurs, les programmes d'immunisation, de contraception, de soins maternels ont été interrompus. »
Au moins 101 pays disposent de politiques permettant une dispensation d'au moins trois mois de traitement, dont 14 autorisent à dispenser jusqu'à six mois chez les patients stables. « Au cours des derniers mois, ce sont ces pays qui ont eu le moins de difficulté à maintenir un bon niveau de traitement de leur population VIH, poursuit Angeli Achrekar, coordinatrice du plan d'urgence présidentiel de lutte contre le sida (PEPFAR). Il faut que les pays assouplissent d'urgence leur législation et mettent en place des moyens de dispensation décentralisés. »
Des progrès insuffisants
L'Onusida dresse par ailleurs un bilan en demi-teinte des effets récents de la lutte contre l'épidémie de VIH. Depuis 2015, le nombre de nouvelles contaminations et de décès continue de diminuer en Afrique (-38 % depuis 2010) mais augmente en Europe de l'Est et en Asie centrale (+72 % de nouveaux cas), au Moyen-Orient et en Afrique (+22 %) ainsi qu'en Amérique Latine (+21 %). En 2019, le VIH a fait 690 000 nouvelles victimes et 1,7 million de nouveaux cas, soit plus du triple de ce qui était fixé dans les objectifs du millénaire par l'OMS. Par ailleurs, 2,6 millions de malades (sur les 38 millions vivant actuellement avec le VIH) n’ont pas accès à un traitement. L'Onusida estime que 3,5 millions et 820 000 décès auraient pu être évités si des investissements suffisants avaient été faits afin de respecter les objectifs fixés pour 2020.
L'Onusida attribue ces résultats médiocres aux trous budgétaires. En 2019, le financement de la lutte contre le sida a diminué de 7 %, comparé à 2017, s'établissant désormais à 18,6 milliards de dollars (16,5 milliards d'euros), soit 30 % de moins de ce que l'Onusida estime nécessaire pour lutter efficacement contre le sida en 2020.
Article mis à jour le 8 juillet 2020
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