Le 18 mars dernier, au lendemain du début de confinement, la Société francophone de transplantation (SFT) a recommandé la suspension des greffes de rein de l'adulte non urgente. « La question de la poursuite de l'activité s'est heurtée à la désorganisation totale des hôpitaux, se souvient le Pr Yannick Le Meur de l'hôpital de la Cavale Blanche à Brest et président de la SFT. Les sociétés savantes ont demandé la suspension de la greffe de rein, car la totalité des centres se sont déclarés en indisponibilité. Cela a permis aux autres greffes d'organe de continuer ».
La principale crainte des experts était le surrisque d'infection, du fait de leur traitement immunosuppresseur. « Il y a une mortalité de 20 % chez les patients greffés infectés par le SARS-CoV-2 », rapporte le Pr Olivier Bastien, directeur du prélèvement et des greffes d'organes et de tissus à l'Agence de la biomédecine.
Conséquence de cet arrêt brutal ainsi que du ralentissement des activités de greffe issue de cœur, de foie et de poumon : une baisse de 90,6 % de l'activité de greffe issue de donneurs décédés en France, comme l'indiquent dans « The Lancet » le Pr Alexandre Loupy du service de néphrologie-transplantation rénale adulte à l'hôpital Necker-Enfants Malades et ses collègues de l'unité INSERM UMR-S970. Ces chiffres proviennent du réseau rassemblant 14 pays, coordonné par le Pr Loupy dont le but est d’étudier les disparités de prise de décision face à la crise COVID et d’en mesurer l’impact. Dans leur étude, les auteurs font état d'une baisse de 51,1 % du nombre de greffes pratiquées aux États-Unis sur la même période avec notamment une baisse de 40 % pour l’état de New York, particulièrement touché par le COVD-19.
« L'activité de greffe avait déjà baissé de moitié avant le début du confinement, ajoute le Pr Bastien. Ce phénomène s'explique par la diminution des décès par accidents de la route et de ceux par AVC pris en charge à l'hôpital. Les greffes de cœur, de foie et de poumon, qui nécessitent des séjours prolongés en réanimation ont également souffert de l'afflux de patients Covid+ ».
Des parcours de soins « Covid free »
Le 11 mai, l'Agence de la biomédecine a émis des recommandations pour la reprise de l'activité de greffe de rein. Il y est préconisé un report des greffes non urgentes dont le bénéfice ne contrebalance pas le risque infectieux. Quand la greffe doit avoir lieu, des tests pour le Covid-19 doivent être disponibles en permanence, y compris la nuit, pour dépister donneurs, receveurs et même personnels hospitaliers. Les centres doivent en outre mettre en place des parcours protégés du risque infectieux, depuis le prélèvement jusqu'au retour à domicile du patient greffé. Chaque équipe de prélèvement et de greffe doit remplir les items d'une check-list, vérifiés par l'ARS.
Concrètement, la crise du Covid-19 aura-t-elle un effet durable sur la pénurie d'organes ? « Les greffes rénales qui n'ont pas eu lieu sont définitivement perdues et ce phénomène va contribuer à accentuer la pénurie d'organe, résume le Pr Loupy. Il est très peu probable malgré les efforts actuels que l'on revienne à une activité de greffe similaire à celle de l'ère précovid avant 2021. » Pour l'heure, quatre équipes (Brest, Grenoble, Poitiers et l'hôpital Saint-Louis à Paris) sur les 46 pratiquants la greffe rénale en France ont déjà repris leur activité.
Pour le Pr Le Meur, plusieurs équipes, notamment dans le Grand Est, ne seront pas opérationnelles avant fin juin/début juillet. « Il y a un gros retard à rattraper sur l'ensemble des opérations chirurgicales reportées. Il va falloir répartir les blocs opératoires et les lits en fonction des urgences, explique-t-il. Les programmes de donneurs vivants vont en souffrir car il faut deux blocs opératoires et davantage de chirurgiens pour procéder à une seule greffe. »
Les acteurs de la filière de la greffe de rein regardent avec anxiété les indicateurs épidémiques, car chaque greffe nécessite que l'hôpital dispose d'un lit de réanimation disponible. De plus il faut pouvoir s'assurer que le patient greffé est protégé contre l'infection, même sorti de l'hôpital. « Une deuxième vague épidémique serait catastrophique », craint le Pr Bastien.
Le Pr Loupy se veut plus rassurant : « Depuis le début de l'épidémie, le personnel s'est formé et nous avons réorganisé nos services pour permettre aux patients de moins circuler dans l'hôpital et réduire son risque d'exposition au Covid-19, explique-t-il. Dans l'ensemble des centres, la télémédecine a été développée. »
Le cataclysme annoncé n'a pas eu lieu
Selon les données de l'Agence de la biomédecine, on recense 2 150 patients infectés par le SARS-Cov-2, dont 510 transplantés rénaux (dont 80 décès) et 1 640 patients dialysés (dont 282 décès). La fréquence de l’infection à SRAS-Cov-2 se situe donc à environ 1 % des patients transplantés rénaux et 3 % des patients dialysés sur l’ensemble du territoire. « Il y a certes un biais de sous-diagnostic, analyse le Pr Loupy, mais le cataclysme annoncé chez les personnes transplantées n'a pas eu lieu et ces données sont notamment confirmées par d'autres pays de la zone Eurotransplant. »
« On pensait que l'immunosuppression exposait à un risque de forme grave, mais son poids comme facteur de risque indépendant de l'âge et du diabète n'est finalement pas si bien connu, ajoute le Pr Le Meur. On ne sait pas encore ce qu'il en sera des patients récemment transplantés qui reçoivent les plus fortes doses d'immunosuppression. Maintenant que de nouvelles transplantations ont lieu, l'observation va être fondamentale dans les semaines à venir. »
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