On avait parlé à l’époque « d’épidémie ». Le fait est qu’après les larges campagnes de vaccination contre la grippe H1N1 en 2009, le nombre de cas de narcolepsie avait augmenté d’un facteur 17 à 25. Si au final le phénomène est resté assez circonscrit, il est resté mystérieux avec l’abandon en 2013 de l’hypothèse auto-immune, même par ses auteurs, faute de preuves suffisantes. Des chercheurs dirigés par Lawrence Steinmann, issus comme eux de l’université de Stanford, font renaître de ses cendres cette thèse dans une publication de « Science Translational Medicine ».
La survenue des cas de narcolepsie était très variable d’un pays à l’autre selon les vaccins utilisés. La Finlande, la Suède, la Norvège et l’Irlande, qui ont utilisé massivement le Pandemrix, ont rapporté les plus fortes incidences et 51 cas avaient été enregistrés en France en 2012. Au final, seul le Pandemrix a été mis en cause dans la narcolepsie post vaccinale avec un retrait du marché consécutif en septembre 2012. Plus de 30,5 millions de doses ont été distribuées en Europe. Environ 1 300 cas de narcolepsie ont été rapportés en janvier 2015 par l’EMA, l’agence européenne du médicament.
Des sujets génétiquement prédisposés
L’existence d’une susceptibilité génétique est bien connue dans la narcolepsie. Par exemple, tous les sujets atteints de narcolepsie avec cataplexie sont porteurs d’un variant particulier appelé HLA-DQB1*062, qui code pour un récepteur de surface des cellules immunitaires. « Les variants HLA sont associés à de nombreuses maladies auto-immunes », explique le Pr Steinmann, pédiatre et neurologue. Mais, à eux seuls, ils ne suffisent pas à entraîner une narcolepsie. La maladie semble plutôt due à l’association de prédispositions génétiques et d’une infection. Les patients narcoleptiques présentent des taux bas du neurotransmetteur hypocrétine, qui aide à rester éveillé en se liant à son récepteur.
La grande question était de savoir pourquoi ce vaccin Pandemrix entraînait un risque de narcolepsie et pas les autres. Était-ce le fait de l’adjuvant ASO3, des protéines vaccinales grippales ? Une piste s’est dessinée rapidement avec l’observation que très peu cas de narcolepsie étaient associés au Focetria, un autre vaccin grippal avec adjuvant (MF-59). Comme le Pandemrix et le Focetria contiennent deux souches grippales différentes, les chercheurs ont émis l’hypothèse que c’était la clef de l’association de la narcolepsie avec le Pandemrix et pas avec le Focetria.
Un segment de la nucléoprotéine grippale
Les chercheurs avaient derrière la tête que le Pandemrix était porteur d’un peptide qui serait très proche d’une structure appartenant au circuit de l’hypocrétine. Et leur hypothèse s’est révélée porteuse. Les scientifiques ont en effet identifié qu’à la surface de la nucléoprotéine (NP) grippale il existait un petit segment très proche d’un récepteur de l’hypocrétine, plutôt que l’hypocrétine elle-même. Et ce segment était présent à des taux beaucoup plus élevés avec le Pandemrix que le Focetria.
Mais encore fallait-il que ces anticorps croisés soient présents chez les sujets atteints. C’est ce que l’équipe a vérifié dans une série de 20 sujets finlandais ayant développé une narcolepsie post vaccinale et porteurs d’un variant génétique, l’hapolotype HLA-DQB1*0602. Dix-sept d’entre eux avaient des taux élevés d’anticorps anti récepteur de l’hypocrétine. En les comparant au sérum de sujets qui ont développé une narcolepsie post vaccinale avec un autre vaccin, les taux constatés avec le Pandemrix étaient très au-dessus. Chez les 6 sujets vaccinés par le Focetria, les taux d’anticorps étaient nuls. D’ailleurs, la spectrométrie de masse a montré que le Focetria contenait 72,7 % moins de NP grippale que le Pandemrix et aucune réponse anticorps durable à la nucléoprotéine. « Ces différences dans le contenu de la nucléoprotéine vaccinale et dans la réponse immunitaire respective peuvent expliquer l’association de la narcolepsie avec le Pandemrix », estiment les chercheurs.
La grippe aussi
Ils proposent aussi un mécanisme expliquant comment à la fois la grippe et le Pandemrix peuvent entraîner une narcolepsie. Chez les sujets génétiquement prédisposés, les taux élevés de la protéine H1N1 pourraient stimuler la production de grandes quantités d’anticorps dirigés à la fois contre le virus et le récepteur de l’hypocrétine. Ceux-ci pourraient alors traverser la barrière hématoméningée soit du fait des taux très élevés d’anticorps, soit d’une inflammation liée à une infection intercurrente. Là, ces anticorps s’accrochent aux récepteurs à l’hypocrétine, ce qui pousse le système immunitaire à détruire ces cellules essentielles aux cycles d’éveil-sommeil.
Les auteurs tiennent à souligner qu’« il n’est pas prudent de conclure que la vaccination grippale doit être évitée, particulièrement chez les sujets à risque ». Ils font remarquer que la grippe peut entraîner des anticorps NP croisés avec les récepteurs de l’hypocrétine dans des proportions plus importantes qu’avec certains vaccins. « Les bénéfices de la vaccination grippale actuellement contre-balancent le risque de complications comme la narcolepsie liée à la vaccination et ceux liés à l’infection naturelle », concluent-ils. Dans un éditorial, le Pr Hartmut Wekerle du Maw Planck Institute, « ce travail apporte de façon élégante des éléments dans la narcolepsie liée à la vaccination mais ne dit pas si des mécanismes similaires (auto-immuns, parainfectieux, etc) existent dans la narcolepsie sporadique ».
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