Les médecins infectiologues risquent-ils de ne pas être associés aux prises de décisions concernant la mise en route des traitements du VHC, notamment chez les patients co-infectés par le VIH ? Selon Lionel Piroth, professeur d’infectiologie au CHU de Dijon, la question peut se poser à la lecture d’une « lettre d’instruction » ministérielle en date du 29 décembre 2014 et adressée aux agences régionales de santé (ARS) et aux directeurs d’établissements de santé.
« Si cette lettre d’instruction est appliquée telle quelle, les spécialistes du VIH peuvent ne pas faire partie des réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) chargées de délivrer les nouveaux traitements de l’hépatite C », souligne le Pr Piroth.
Émanant de la direction générale de la santé (DGS) et de la direction générale de l’offre de soins (DGOS), cette lettre définit les conditions de délivrance des nouveaux antiviraux d’action directe (NAAD) destinés à traiter les patients VHC. « Ces médicaments, on le sait, ont modifié de manière très importante la prise en charge des patients. Désormais, on dispose de produits avec une tolérance excellente qui, en trois mois, permettent d’obtenir une guérison dans plus de 90 % des cas. Le problème est que le coût des médicaments est particulièrement élevé et ce n’est sans doute pas sans lien avec le fait que les autorités sanitaires souhaitent encadrer de manière très stricte leur délivrance », indique le Pr Piroth.
Selon la lettre d’instruction, on recenserait près de 360 000 patients séropositifs au VHC dont 65 % seraient atteints d’hépatite chronique. Parmi ces 230 000 patients, seuls 60 % seraient effectivement diagnostiqués, soit environ 140 000 patients, dont 23 000 seraient co-infectés par le VIH. Selon une modélisation présentée dans le récent rapport d’experts du Pr Dhumeaux, sur ces 230 000 malades infectés, 43 % seraient au stade de fibrose F0 ou F1, 49 % au stade F2 à F4 et 8 % au stade de complications (cirrhose décompensée ou carcinome hépatocellulaire).
Deux histoires naturelles
« L’arrivée de plusieurs NAAD, en particulier dans les deux ou trois prochaines années, bouleversant de manière continue la stratégie thérapeutique de l’hépatite C chronique. Il est nécessaire de mettre en place un encadrement de leur prescription et de leur délivrance, ainsi qu’une organisation optimale du suivi des patients traités, afin de maximiser l’apport attendu de ces nouveaux traitements et de veiller à l’égalité de leur mise à disposition sur l’ensemble du territoire », souligne la lettre d’instruction.
En se basant sur les recommandations du rapport Dhumeaux, la DGS et la DGOS demandent que la délivrance des NAAD et les modalités de suivi des patients soient décidées dans le cadre de RCP organisées au sein des services experts de lutte contre les hépatites virales. « Les médecins hépatogastro-entérologues, infectiologues ou internistes, exerçant en milieu hospitalier et souhaitant prescrire ces NAAD (…) adresseront la demande d’initiation de traitement pour chacun de leur patient aux services experts de lutte contre les hépatites virales de leur région, ou correspondants habituels, qui se prononceront sur la thérapeutique la plus adaptée après examen du dossier de chaque patient », souligne la lettre d’instruction.
La DGS et la DGOS précisent ensuite que, dans la mesure du possible, la RCP est composée d’un médecin hépatologue, d’un virologue (ou interniste), un professionnel de santé en charge de l’éducation thérapeutique, un pharmacien, un travailleur social et un attaché de recherche clinique. « C’est vraiment ce point qui nous pose problème, en particulier pour les patients co-infectés. Il n’est en effet pas prévu d’inclure un infectiologue ou un spécialiste du VIH dans cette RCP et cela revient à se priver d’un médecin ayant des compétences et une expérience des infections virales chroniques, et qui, dans le cas de personnes co-infectées par le VIH, souvent suivent ces personnes de longue date. Un patient co-infecté VIH/VHC a au minimum deux histoires naturelles qui s’enchevêtrent et évoluent dans le temps. Et il me semble difficile de prendre une décision thérapeutique sans bien connaître ces deux histoires », souligne le Pr Piroth.
Une concertation pluridisciplinaire nécessaire
Sans lien avec un spécialiste du VIH, ces RCP pourraient avoir tendance à choisir un traitement VHC en fonction de la situation médicale du patient à un instant donné. « En étant présent, un spécialiste du VIH pourrait conseiller une autre orientation, en préconisant par exemple de positionner le traitement VHC différemment ou en adaptant le traitement VIH en fonction du traitement VHC qui serait le choix préférentiel », indique le Pr Piroth, en insistant sur l’intérêt de cette démarche pluridisciplinaire. « Par le passé, nous avons toujours recommandé que les infectiologues ne prennent pas seuls les décisions thérapeutiques concernant les patients co-infectés mais toujours en concertation pluridisciplinaire, et principalement en lien avec un confrère hépatologue. Et là, on se retrouve dans la situation inverse avec des RCP où les infectiologues et spécialistes du VIH peuvent se trouver théoriquement écartés », regrette le Pr Piroth.
Certes, des situations d’entente locale peuvent toujours être envisagées et sont souvent la règle. « Au CHU de Dijon, nous entretenons de très bonnes relations avec nos collègues hépatologues, qui nous convient aux RCP. Mais il serait quand même bon qu’on puisse prévoir, au niveau national, qu’un infectiologue ou un spécialiste du VIH fasse statutairement partie des RCP », indique le Pr Piroth. « Il serait enfin souhaitable que quelques services d’infectiologie experts depuis de très nombreuses années dans la prise en charge des personnes co-infectées VIH et VHC, puissent intégrer la liste des 33 centres experts habilités à organiser ces RCP ».
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