L’arrivée depuis l’Asie d'une espèce invasive de moustique vecteur du paludisme, Anopheles stephensi, en Afrique pourrait« modifier le paysage » de l’épidémie sur le continent avec une recrudescence des épidémies urbaines, s’inquiètent des chercheurs.
Une étude, présentée lors de la réunion annuelle de l'American Society of Tropical Medicine and Hygiene (ASTMH), apporte de premières données établissant un lien entre ce moustique, présent jusqu’ici seulement en Inde et en Iran, et une vague d’infections dans une ville éthiopienne, en pleine saison sèche.
La présence de cette espèce résistante aux insecticides a été confirmée sur le continent africain dès 2012 à Djibouti. Le pays était alors sur le point d’éradiquer le paludisme, avec seulement 27 cas détectés cette année-là, avant de connaître une résurgence progressive des infections. En 2020, l’Organisation mondiale de santé (OMS) faisait état de quelque 73 000 cas dans le pays.
En Éthiopie, une hausse des cas liée à Anopheles stephensi
L’étude présentée devant l’ASTMH, non revue par des pairs, a porté sur une épidémie survenue dans l’est de l’Éthiopie voisine, dans la ville de Dire Dawa (environ 500 000 habitants). Alors qu’elle n’enregistrait qu’environ 200 cas par an, cette agglomération a signalé environ 2 400 cas entre janvier et mai 2022, période où les pluies sont pourtant rares. Les recherches ont rapidement montré que les moustiques Anopheles stephensi étaient présents dans des réservoirs d'eau à proximité des cas et étaient responsables de la hausse des contaminations.
« Le paludisme en Afrique est généralement associé aux saisons des pluies dans les zones rurales, mais ce moustique a multiplié par 10 les infections paludéennes en seulement trois semaines dans une zone urbaine pendant une saison sèche », explique dans un communiqué Fitsum Tadesse, chercheur en biologie moléculaire à l'Institut de recherche Armauer Hansen à Addis Abeba, qui a participé à l’étude.
En Afrique, les cas de paludisme sont généralement liés à l’espèce Anopheles gambiae, dont les populations augmentent et diminuent selon le rythme des saisons des pluies. « Contrairement aux moustiques qui transmettent généralement les parasites du paludisme en Afrique, Anopheles stephensi est surtout connu pour sa capacité à prospérer dans des réservoirs de stockage d'eau artificiels comme ceux des quartiers urbains en pleine expansion », indique Fitsum Tadesse.
D’autres pays sont concernés par la présence de ce moustique. Il a par exemple été détecté à des milliers de kilomètres au Nigeria. D’autres données, également présentées lors de la réunion de l'ASTMH, témoignent de l’omniprésence d'Anopheles stephensi dans neuf États du Soudan, l’espèce ayant été identifiée dans 64 % des 60 sites de tests.
Le paludisme menace 126 millions de personnes supplémentaires
Cette propagation suscite des inquiétudes, alors que le continent mène une longue bataille contre le paludisme. Sur les 627 000 décès annuels liés à l’infection dans le monde, 95 % surviennent en Afrique et la plupart des victimes sont des enfants de moins de cinq ans. La crainte est notamment, qu’à l’instar de la situation à Djibouti, on observe un décalage de plusieurs années entre la détection du moustique et son lien avec une recrudescence des infections. Selon Fitsum Tadesse, 126 millions de personnes supplémentaires en Afrique pourraient être exposées au paludisme via Anopheles stephensi.
Pour anticiper la menace, l'OMS a lancé le mois dernier une initiative pour arrêter la croissante d’Anopheles stephensi en Afrique. « La capacité de ce moustique à persister pendant la saison sèche et dans les environnements urbains a le potentiel de modifier le paysage du paludisme en Afrique, souligne Sarah Zohdy, experte auprès des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) qui travaille avec l'Initiative américaine contre le paludisme (PMI), un partenaire clé de l'étude en Éthiopie. Cela pourrait faire passer le paludisme d'une maladie à prédominance rurale à un défi à la fois rural et urbain qui a également un impact sur les villes africaines à croissance rapide et densément peuplées, où les taux d'infection ont été jusqu’ici relativement faibles. »
« Une surveillance robuste pour détecter et enquêter sur les épidémies inhabituelles dans les pays africains est essentielle pour développer des stratégies visant à empêcher ce moustique envahissant de faire dérailler les efforts de l'Afrique pour éliminer le paludisme », a commenté de son côté le Dr Daniel Bausch, président de l'ASTMH.
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