TOUTE L’HISTOIRE débute dans les années 1920. Très exactement deux ans plus tôt, en 1918, alors que l’effroyable épidémie de grippe espagnole vient de décimer entre 50 et 100 millions de jeunes adultes âgés entre 20 et 40 ans. Le psychiatre Karl Menninger note une curieuse association entre grippe et maladies psychiatriques chez 80 patients admis au Boston Psychopathic Hospital. L’étude est publiée dans le « JAMA » en 1919 et est encore célèbre aujourd’hui. Mais pas tant sur la physiopathologie de la grippe dans les psychoses, que comme une étape clef dans l’histoire de la psychiatrie… Des sujets au diagnostic de « dementia præcox » vont en effet retenir l’attention du psychiatre. Et là, à sa grande surprise, au cours d’un suivi de cinq ans, 35 parmi 50 sujets récupèrent totalement et 5 sont considérablement améliorés. Ces patients étiquetés « dementia præcox » ne seraient-ils pas déments en réalité ? Cette constatation l’amène à penser que « de nouveaux critères de diagnostic ou de nouvelles conceptions pronostiques sont nécessaires ». Et c’est le point de départ de la classification moderne des maladies psychiatriques.
De la dementia præcox à la schizophrénie.
Au début du XXe siècle, le psychiatre Kræpelin popularise le terme de « dementia præcox », qu’il définit comme une maladie cérébrale dégénérative commençant à la fin de l’adolescence et dont les symptômes vont en s’aggravant. Puis arrive le Suisse Bleuler, très influencé par Freud, qui croit, lui, à un déséquilibre mental dû à des fonctions normales surexprimées. Bleuler rebaptise la « dementia præcox » en schizophrénie, ou « esprit scindé », pour traduire les contradictions intrapsychiques du trouble.
Avec la déferlante psychanalytique, les courants plus normatifs sont mis de côté jusqu’aux années 1970. La nosologie, l’épidémiologie mais aussi les neurosciences et la neurobiologie sont reléguées aux oubliettes. Le concept de la mère schizophrénogénique illustre le caractère extrême pris par ce mode de pensée. Le trouble mental y est expliqué comme la résultante d’un comportement maternel ambivalent, à la fois surprotecteur et rejetant. En pratique, aucune amélioration chez le patient mais une culpabilité aggravée du côté des mères.
Retour à la classification du DSM.
Devant le tournant subjectif et trop peu rationnel pris par la spécialité, l’American Psychiatric Association prend le contre-pied dans les années 1970 et organise la rédaction de la troisième édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-III). L’ouvrage a pour mission de catégoriser les troubles psychiatriques et de définir des critères diagnostiques prouvés. Depuis les multiples découvertes réalisées ces vingt dernières années dans des champs aussi divers que la biologie moléculaire et cellulaire, la génétique, l’imagerie et l’épidémiologie, la classification du DSM-IV montre ses limites à son tour. Une cinquième édition programmée pour 2 012 devrait compléter, voire remplacer, la définition de la schizophrénie.
Alors la boucle est-elle bouclée ? Entre grippe et schizophrénie, Menninger avait formulé plusieurs hypothèses, mais pas celle de l’exposition au virus in utero. Et pourtant… Le risque de schizophrénie serait plus élevé, 3 fois plus sur l’ensemble des études à ce sujet et jusqu’à 7 fois plus dans l’étude de Brown. Certaines formes de schizophrénie pourraient être évitées en vaccinant les femmes enceintes. Un bel exemple de recherche accomplie en dépit des turpitudes de la discipline.
Yudofsky S. JAMA, 21 janvier 2009. Contracting schizophrenia.
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