La recherche thérapeutique sur Ebola vient de connaître une avancée sur le terrain.
« L’étude que nous avons conduite est une étude de recherche clinique singulière, sur une maladie contagieuse et hautement létale, menée en milieu hostile, souligne d’entrée le Dr Denis Malvy (CHU de Bordeaux). Éthiquement, et en termes de faisabilité, il n’était pas envisageable de faire une comparaison versus placebo. C’est donc un essai ouvert, dans lequel nous avons traité par favipiravir tous les patients pris en charge dans les centres investigateurs Ebola (CTE) en Guinée depuis le 17 décembre. Cet essai se poursuit. Mais, vues les données préliminaires, il était important de communiquer ces premiers résultats. Nous avons en effet mis en évidence deux critères pronostiques importants lors de la prise en charge. Ces paramètres devraient désormais être accessibles et renseignés dans les CTE lors des protocoles d’évaluation. Il s’agit de la charge virale semi-quantitative inaugurale – renseignée dans le même test que celui utilisé pour poser le diagnostic – et de l’insuffisance rénale aiguë organique – critère de sévérité attestant la phase avancée de défaillance d’organe. En effet, les patients avec une charge virale très élevée et une défaillance d’organe ne bénéficient pas d’une monothérapie par favipiravir. En revanche, un traitement par favipiravir, à posologie relativement élevée, pourrait améliorer le pronostic des patients à charge virale modérée à élevée et sans défaillance d’organe. Dans cet essai, leur mortalité est réduite de moitié par comparaison aux patients historiques, patients de même profil pris en charge avec un protocole symptomatique identique dans ces mêmes CTE de septembre à novembre. C’est un résultat très encourageant en termes de recherche d’un signal d’efficacité », résume le Dr Malvy.
Un essai de phase II mené en conditions contraintes
L’essai JIKI – qui signifie espoir en langue Kissi – a été promu par l’INSERM avec le soutien de la communauté européenne et de médecins sans frontières. « Il a été mené sur le terrain dans des conditions difficiles », souligne le Dr Malvy. C’est à ce jour la première et seule étude de recherche clinique menée sur le terrain, un second essai testant à Monrovia un autre analogue nucléotidique, le brincidovir, ayant été arrêté.
Ses résultats préliminaires ont été communiqués en avant-première lors du congrès de la CROI (1).
Ils portent sur les 80 premiers patients de plus de 14 ans traités dans deux centres en Guinée, dont 69 adultes. Ces sujets ont 38 ans d’âge moyen et parmi eux 64 % sont des femmes. Leurs symptômes étaient en moyenne apparus dans les 5 jours avant leur arrivée au centre. Le diagnostic était réalisé par une PCR rapide adaptée aux conditions et contraintes du terrain. Depuis décembre 2014, cette PCR permet également l’estimation semi quantitative de la charge virale Ebola, exprimée en crossing cycle threshold (CT). Ce CT est d’autant plus bas plus la charge virale est élevée.
« Un CT à 20 équivaut à une virémie de l’ordre de 108 particules virales par millilitre de sang. Un CT inférieur à 20 signe donc une virémie très élevée, précise le Dr Malvy. Dans cette série, à l’inclusion, 42 % des patients avaient une charge virale très élevée (CT inférieur à 20) et 58 % une charge virale modérée à élevée (CT supérieur à 20) ».
« En outre, de nombreux patients sont à l’arrivée en insuffisance rénale aiguë. Les taux de créatinine sériques étaient globalement supérieurs à 100 µm/l chez 60 % d’entre eux, et dépassaient les 300 µM/l chez 27 % des patients », souligne-t-il.
Des décès chez 15 % vs 30 %
Parmi les 58 % de patients arrivés porteurs d’une charge virale modérée, dont 42 % en insuffisance rénale, seuls 15 % sont décédés. Alors que, dans les 3 mois précédents, la mortalité des sujets à charge virale modérée était de 30 % (p = 0,052). Le traitement par favipiravir pourrait donc réduire de moitié la mortalité dans ce groupe.
« Le suivi de la charge virale montre clairement une évolution rapide chez ces patients. Leur charge virale décroît très rapidement. Elle est réduite de moitié dès le deuxième jour. Et, après seulement 4 jours, la moitié des patients ont négativé leur charge virale. Or les données issues d’autres sites suggèrent que la cinétique virale de sujets survivants non traités évolue bien plus lentement, sans doute en rapport avec le délai nécessaire à la constitution de la réponse immunitaire. Le favipiravir semble donc exercer un impact sur la charge virale », explique le Dr Malvy.
Pas de bénéfice chez les patients sévères
Parmi les 42 % de patients arrivés avec une charge virale élevée, dont 80 % sont en insuffisance rénale réfractaire, 93 % sont décédés. Alors que dans les 3 mois précédents la mortalité associée à une charge virale élevée était de 85 % (p = 0,26). « Il n’y a manifestement pas de bénéfice dans ce groupe. Une monothérapie est probablement insuffisante à ce stade de la maladie. Comme pour le VIH, une multithérapie sera surement nécessaire, commente le Dr Malvy. La créatinine sérique, qui repère ici l’insuffisance gloable d’organe, est un critère additif de sévérité. Parmi les patients avec une virémie initiale élevée, 100 % de ceux présentant une créatinine supérieure à 300 µM/l sont décédés ».
(1) Sissoko D et al. Favipiravir in Patients with Ebola Virus Disease : Early Results of the JIKI trial in Guinea. Late breaking abstract 103-ALB. CROI 2015
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