En Amérique latine

Un très lourd tribut imposé aux femmes

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Publié le 29/03/2016
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ZIKA

ZIKA
Crédit photo : PHANIE

Malheureusement, l'épidémie de Zika ne semble pas à même de faire bouger les lignes en Amérique latine. Aucune avancée des droits des femmes n'est à l'horizon, ce serait même plutôt le contraire. L'arrivée du virus tend à réactiver le combat mené, non seulement par l'église catholique mais aussi par les évangélistes encore plus obscurantistes, et dont l'influence n'a cessé de s'étendre ces dernières années sur ce continent.

Même aux États-Unis, les droits à l'avortement reculent. Entre 2011 et 2015, dix états de ce pays ont adopté des restrictions d'accès à l'avortement. Au-delà, le planning familial est lui-même remis en cause, en particulier au Texas. À tel point que la légitimité de ces dispositions texanes est aujourd'hui en cours d'examen à la Cour Suprême à Washington.

Une opinion largement conservatrice

« En Amérique latine, l'Interruption volontaire de grossesse (IVG) reste très largement proscrite ou restreinte à des cas très exceptionnels. Y compris dans des pays ayant à leur tête des femmes progressistes comme le Brésil, dirigé par Dilma Roussef, ou le Chili, présidé par Michèle Bachelet, pourtant médecine et ex-présidente d'ONU Femmes. Même chose en Équateur, où le président Correa, de gauche et avec un positionnement social, est farouchement opposé à l'IVG », résume Olga L. Gonzalez, sociologue à l'unité de recherche migrations et société (Urmis), université Paris-Diderot.

Les politiques, quelles que soient leurs propres convictions, n'osent pas s'aliéner l'opinion populaire, largement conservatrice, ni les « églises » au sens large, encore très puissantes.

Pas d'IVG même pour malformation sauf à Cuba, en Uruguay et à Mexico City

Au total, la liste des pays où l'IVG est autorisée reste très limitée. Si l'on excepte quelques îles des Caraïbes, elle se résume, en tout et pour tout, à Cuba et l'Uruguay. Il faut y ajouter la ville de Mexico, où l'IVG est autorisée depuis 2007, alors que dans le reste du pays elle n'est autorisée que pour viol ou mise en danger de la vie de la mère. Ce type d'IVG, très restrictive, est autorisé d'ailleurs dans quelques autres pays, notamment au Brésil.

En revanche, l'avortement thérapeutique pour malformations congénitales reste totalement proscrit en Amérique latine, sauf en Colombie.

Dans quasi toute l'Amérique latine, les femmes payaient déjà un lourd tribut en termes de grossesses non désirées et de morbimortalité associée aux nombreux avortements clandestins. Avec l'épidémie de Zika, virus inducteur d'anomalies neurologiques chez le fœtus, ce tribut va considérablement s'alourdir.

Une régression au Brésil suite à l'épidémie

L'épidémie de Zika ne semble pas suffisante pour améliorer l'accès des femmes à la contraception et l'avortement. Les militants anti-contraception et anti-avortement sont fortement mobilisés. Ils dressent partout des barrages à de possibles avancées. « À titre d'exemple, au Brésil, un groupe politique évangélique (15 % des députés représentent des églises évangéliques) a proposé au contraire, face à l'épidémie, d'augmenter les peines légales pour avortement clandestin (2). C'est consternant », déplore Olga L. Gonzalez.

« Il y a une grande hypocrisie dans l'ensemble des classes politiques. On sait parfaitement que la plupart des femmes avortent malgré tout. Ainsi au Brésil, 800 000 IVG clandestines sont pratiquées chaque année. Il y a en outre une certaine schizophrénie. On empêche l'accès légal à la pilule du lendemain, quand en même temps on la dispense sous le manteau jusque dans les dispensaires publics et centres de planning familiaux, toujours au Brésil », précise-t-elle.

Et, même en Colombie, où l'avortement thérapeutique est autorisé puisque les malformations congénitales constituent légalement une cause recevable, la situation reste très préoccupante. Globalement, 20 % des grossesses surviennent chez des jeunes de moins de 19 ans. Considérées dans leur ensemble, 52 % de grossesses sont non désirées. Et la majorité des avortements sont toujours clandestins. Un travail mené par une équipe allemande chiffre, en 2011, à moins de 0,1 % les IVG officielles en Colombie. Soit à peu près 300 IVG officielles par an pour un nombre total d'IVG estimé à 400 000 par an (3,4).

Il est donc impératif, au-delà du Zika, de lancer enfin un vrai travail en amont, notamment sur la mise en place de programmes d'éducation sexuelle à l'école. Mais le chemin est encore long : ainsi, récemment la Cour constitutionnelle de Colombie a interdit l'éducation sexuelle dans les écoles et collèges.

Entretien avec Olga L. Gonzalez, sociologue à l'unité de recherche migrations et société (Urmis), université Paris-Diderot

(1) CDC. All Countries and Territories with Active Zika Virus Transmission. http://www.cdc.gov/zika/geo/active-countries.html

(2) Sandy M. Brazilian Legislators Look to Increase Abortion Penalties in the Wake of Zika Outbreak, Times, 22 fevrier 2016.http://time.com/4230975/brazil-abortion-laws-zika-outbreak/

(3) Prada E. et al. Embarazo no deseado y aborto inducido en Colombia: causas y consecuencias. Nueva York, Guttmacher Institute, 2011.

(4) Guttmacher Institute. Advancing sexual and reproductive health and rights.

http://www.guttmacher.org/index.html

Pascale Solere

Source : Bilan Spécialiste