Un ver rond, Ophidascaris robertsi, dont les hôtes définitifs sont les pythons des tapis (Morelia spilota), a été extrait « vivant et mobile » du cerveau d’une Australienne de 64 ans, immunodéprimée en raison d'un syndrome hyperéosinophilique diagnostiqué 12 mois plus tôt. Ce cas, dont le détail est publié dans « Emerging Infectious Diseases », est le « tout premier cas humain d'Ophidascaris décrit dans le monde », a indiqué le Dr Sanjaya Senanayake, spécialiste des maladies infectieuses et dernier auteur. « À notre connaissance, c'est également le premier cas impliquant le cerveau d'une espèce de mammifère, humaine ou autre », a-t-il ajouté.
L’histoire de ce cas débute en janvier 2021 quand la sexagénaire est admise à l’hôpital après trois semaines de douleurs abdominales et de diarrhée, suivies d'une toux sèche et de sueurs nocturnes. Les premiers examens révèlent un taux d'éosinophiles dans le sang de 9,8 × 109 cellules/l (plage de référence < 0,5 × 109 cellules/l), une hémoglobine de 9,9 g/dl (plage de référence de 115 à 165 g/l), des plaquettes de 617 × 109 cellules/l (plage de référence 150 – 400 × 109 cellules/l) et une CRP à102 mg/l (plage de référence < 5 mg/l). Ses antécédents médicaux comprenaient un diabète, une hypothyroïdie et de la dépression. Elle n’était par ailleurs pas complètement rétablie d’une pneumonie communautaire traitée avec de la doxycycline.
Long parcours vers un diagnostic parasitaire
Une tomodensitométrie (TDM) a alors révélé des opacités pulmonaires multifocales et des lésions hépatiques et spléniques. Le lavage broncho-alvéolaire a révélé 30 % d'éosinophiles sans signe de malignité ou de micro-organismes pathogènes, y compris les helminthes. Les tests sérologiques pour Strongyloides et le dépistage des maladies auto-immunes se sont révélés négatifs. Le diagnostic était alors celui « d’une pneumonie à éosinophiles d’étiologie peu claire ». Le traitement à base de prednisolone (25 mg/j) s’est traduit par une amélioration partielle des symptômes.
Trois semaines plus tard, toujours sous prednisolone, la patiente s’est de nouveau présentée à l’hôpital avec une fièvre récurrente et une toux persistante. Son taux d'éosinophiles dans le sang était de 3,4 × 109 cellules/l et la CRP était de 68,2 mg/l. Les examens ont révélé la persistance des lésions hépatiques et spléniques et des opacités pulmonaires migratrices. L'échantillon de biopsie pulmonaire était compatible avec une pneumonie à éosinophiles mais pas avec une granulomatose à éosinophiles avec polyangéite.
À ce stade, « un réarrangement du gène du récepteur monoclonal des lymphocytes T, suggérant un syndrome hyperéosinophile induit par les lymphocytes T » a été détecté. Un traitement à base de prednisolone (50 mg/j) et de mycophénolate (1 g x 2/j) a été mis en place. « En raison de ses antécédents de voyage, de la possibilité d'une sérologie Strongyloides faussement négative et d'une immunosuppression accrue, elle a reçu de l'ivermectine (200 µg/kg par voie orale) pendant deux jours consécutifs et une dose répétée après 14 jours », est-il précisé.
Mi-2021, un scanner a montré une amélioration des lésions pulmonaires et hépatiques mais des lésions spléniques inchangées. Le taux d'éosinophiles dans le sang était de 0,76 × 109 en septembre 2021. En janvier 2022, le traitement a été enrichi avec du mépolizumab (anticorps monoclonal interleukine-5, 300 mg toutes les 4 semaines). La dose de prednisolone n’a pu être réduite en dessous de 20 mg par jour sans provoquer d’accroissement des symptômes respiratoires. Ce n’est que lorsque le taux d'éosinophiles dans le sang est revenu à la normale que la dose de prednisolone a été diminuée.
Malgré ce traitement, la patiente a souffert, pendant une période de trois mois, d'oublis et d'une aggravation de sa dépression. Son taux d'éosinophiles dans le sang se situait dans la plage de référence et sa CRP à 6,4 mg/l. Une IRM cérébrale a alors montré une lésion du lobe frontal. Une biopsie ouverte a été réalisée en juin 2022. « Nous avons noté une structure en forme de fil au sein de la lésion, que nous avons retirée ; c'était un helminthe vivant et mobile de 80 mm de long et 1 mm de diamètre », raconte l’équipe. Le ver parasite a ensuite été identifié comme étant un Ophidascaris robertsi.
Un risque persistant de maladies zoonotiques
Une fois le ver extrait, les lésions pulmonaires et hépatiques se sont résorbées, tandis que les lésions spléniques sont restées inchangées. La patiente a reçu 2 jours d'ivermectine (200 µg/kg/j) et 4 semaines d'albendazole (400 mg x 2/j). Un traitement de sevrage par dexaméthasone (à partir de 4 mg x 2/j) sur 10 semaines a été mis en place. Six mois après l’intervention chirurgicale (3 mois après l’arrêt de la dexaméthasone), son taux d'éosinophiles dans le sang est resté normal, mais, bien qu’améliorés, ses symptômes neuropsychiatriques ont persisté.
Pour expliquer ce cas, les scientifiques émettent l’hypothèse d’une consommation par inadvertance d'œufs d'Ophidascaris robertsi soit via la végétation lors de collectes de plantes sauvages, soit indirectement par contamination de ses mains ou du matériel de cuisine. « L’évolution clinique et radiologique de la patiente suggère un processus dynamique de migration des larves vers de multiples organes, accompagné d’une éosinophilie dans le sang et les tissus, révélatrice d’un syndrome viscéral de larva migrans », avancent-ils. Et, les lésions spléniques pourraient constituer une pathologie à part entière, soupçonnent-ils.
Selon eux, ce cas souligne le « risque persistant de maladies zoonotiques ». La présence, ailleurs sur le globe, d'autres espèces d'Ophidascaris infectant des serpents, indique que d'autres cas humains pourraient apparaître dans le monde. « Il n'est jamais facile ni souhaitable d'être le premier à être malade de quoi que ce soit au monde, conclut le Dr Senanayake. Je ne saurais trop exprimer notre admiration pour cette femme, qui a fait preuve de patience et de courage tout au long de ce processus. »
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