Malgré l’enthousiasme de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les performances du premier vaccin contre le paludisme autorisé par l’agence onusienne restent modestes. Avec seulement 30 % de réduction des hospitalisations pour paludisme sévère et 40 % de baisse de l’incidence dans les populations vaccinées, les chiffres du vaccin RTS, S/AS01 (Mosquirix) développé par le laboratoire GSK laissent à désirer.
Ces résultats se situent d’ailleurs en dessous des attentes affichées dans la feuille de route de l’OMS. Cette dernière espérait une première génération de vaccins efficace à 50 % contre les formes graves pendant un an dès 2015, puis une deuxième génération efficace à 80 % contre les formes simples et graves pendant quatre ans en 2025 et une troisième génération efficace à 75 % en 2030 contre toutes les formes à Plasmodium falciparum et à Plasmodium vivax tout en limitant la transmission et en étant adaptée aux régions endémiques.
Mosquirix n’en reste pas moins le tout premier vaccin à intégrer l’arsenal officiel de la lutte contre le paludisme. Une arme à ne pas snober contre une épidémie qui, en 2019, était responsable de près de 409 000 décès, quasiment tous causés par le Plasmodium falciparum. « Sauver 3 enfants sur 10, c’est déjà bien, rappelle Benoît Gamain, responsable de l’équipe « Pathogenèse du paludisme sévère » à l’université de la Réunion et à l’université des Antilles et de la Guyane. Ce que je crains, c’est que l’effet d’annonce de l’OMS ne génère un vaccinoscepticisme chez les parents dont les enfants vaccinés tombent tout de même malades. »
D’ailleurs, de récentes études laissent entendre qu’il est possible de maximiser l’utilisation de ce vaccin. Le 9 septembre dernier, les chercheurs de l’École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres et de l’Institut de recherche en sciences de la santé du Burkina-Faso ont montré qu’en association avec un traitement préventif (sulfadoxine-pyriméthamine et amodiaquine), le Mosquirix parvenait à un niveau de protection de 70,5 % contre les hospitalisations, de 72,9 % contre les décès et de 62,8 % contre les accès palustres (1). Par ailleurs, en mai dernier, le vaccin R21 basé sur la même sous-unité protéique que le Mosquirix, mais avec un adjuvant différent, présentait une efficacité de 77 % dans une étude menée chez 450 enfants (2). Des chiffres inespérés contre une maladie particulièrement retorse à circonscrire par la seule vaccination.
Une vingtaine de candidats vaccins
Le Plasmodium falciparum a un cycle de vie complexe. Il est transmis à un hôte humain sous la forme de sporozoïtes. Ces cellules uniques allongées infectent les cellules humaines, et notamment celles du foie (stade pré-érythrocytaire). Elles s’y transforment en mérozoïtes, prêts à circuler dans le sang pour y infecter les globules rouges (stade sanguin asexué), qui éclateront à leur tour pour libérer des gamétocytes mâles et femelles (phase sexuée). Ces gamétocytes nécessiteront le passage par un moustique pour se reproduire et donner naissance à de nouveaux sporozoïtes.
La vingtaine de candidats vaccins se répartit donc entre ceux qui vont tenter de bloquer la transmission vers ou depuis le moustique, ceux qui essaient d’empêcher l’entrée dans les hépatocytes et ceux qui endiguent la phase sanguine. De fait, les stratégies sont diverses : vaccins à sous-unités, à parasites entiers, antigéniques, etc. Pour Sylviane Pied, de l’équipe « Immunologie basique et clinique des maladies parasitaires » du Centre d’infection et d’immunité de Lille, la priorité est de « lutter contre le stade érythrocytaire ainsi qu’au niveau du foie où il se réfugie. Mais c’est difficile car, à ce stade, il dispose de moyens lui permettant de moduler la réponse immunitaire à son avantage. » Ainsi, le Mosquirix est un vaccin à sous-unité protéique qui vise la phase pré-érythrocytaire.
Peut-on envisager de combiner différentes approches ? « D’un point de vue clinique, ce serait une bonne idée, répond Benoît Gamain, mais d’un point de vue pratique, il faut que la vaccination coûte moins de 10 dollars compte tenu des pays dont on parle. Donc combiner énormément d’antigènes, surtout s’ils sont produits de différentes façons, serait plus compliqué. »
La course de fond des chercheurs
L’équipe de Benoît Gamain et celle de l’université de Copenhague travaillent, quant à elles, à développer des « vaccins placentaires », respectivement Primvac et Pamvac, destinés à protéger les jeunes femmes contre le paludisme placentaire. Ce terme correspond à l’accumulation massive de globules rouges infectés dans le placenta, ce qui est à l’origine d’anémie, d’hypertension artérielle, de fausses-couches, de prématurité et de retard de croissance intra-utérin. En 2019, le paludisme a été ainsi responsable d’environ 10 000 décès maternels et de 200 000 à 363 000 décès de nouveau-nés, pour cause d’insuffisance pondérale à la naissance. Mais, « chez les femmes infectées, il y a une immunité qui se met en place au cours des grossesses successives, notre vaccin doit reproduire et amplifier ce phénomène », précise Benoît Gamain qui cherche des financements pour lancer une étude de phase 2 pour Primvac.
Le chercheur estime qu’il faudra au moins 10 ans avant que son vaccin n’arrive sur le marché. Pour mémoire, les premières phases de développement du Mosquirix datent de 1984, et il a fallu attendre 1998 pour la première preuve de concept chez l’adulte, 2007 pour avoir celle chez l’enfant, enfin 2011 et 2012 pour avoir les résultats de phase 3.
De nombreux challenges
La mise au point d’un vaccin contre le paludisme est ralentie par le polymorphisme du parasite. « Chacun des stades parasitaires se caractérise par un polymorphisme et des variations génétiques importantes, détaille Sylviane Pied. On n’est jamais infecté par un seul clone. Il y a aussi des facteurs environnementaux qui augmentent encore cette variabilité, comme les coinfections ou l’histoire immunologique de l’hôte. »
Mais il y a plusieurs autres challenges. « Il s’agit d’un parasite avec de nombreuses cibles potentielles, souvent des antigènes très complexes, complète Benoît Gamain. Il est en outre très difficile de mettre en place une production vaccinale. Enfin, il y a un manque de connaissances fondamentales : la plupart des protéines du parasite ne sont pas connues, et quand elles le sont, on ne sait pas à quoi elles servent. D’un stade à l’autre, elles n’ont parfois pas le même rôle ! » Une des pistes envisagées pour couvrir ces multiples cibles est l’injection de parasites entiers. Un vaccin déjà expérimenté dans la marine américaine est notamment constitué de sporozoïtes entiers irradiés pour réduire leur pathogénicité.
« On a aussi des lacunes de connaissances en ce qui concerne l’immunologie et l’immunité naturelle », soupire Adrian Luty, directeur de recherche à l’IRD UMR 261 MERIT (université de Paris). Pour toutes ces raisons, Benoît Gamain ne croit pas à la possibilité d’obtenir un jour une immunité totalement stérilisante, dans la mesure où « cela n’arrive pas naturellement chez les personnes infectées », explique-t-il. « En fait, tout dépend de ce que l’on recherche, conclut Sylviane Pied. Empêcher les formes cérébrales ? Protéger le foie ? Imiter l’immunité naturelle ? Bloquer la transmission ? Chaque but suppose des stratégies et des vaccins différents.
(1) D. Chandramohan et al, N Engl J Med, septembre 2021. DOI : 10.1056/NEJMoa2026330
(2) M.S. Datoo et al, The Lancet, 15 mai 2021, volume 397, p1809-1818
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